Et soudain, tout le monde me manque, de Jennifer Devoldère

 

Affiche de Et soudain, tout le monde me manqueUne fille et son père. Ou l’éternelle incommunicabilité vue par Jennifer Devoldère, qui décrypte avec délicatesse cette forte et obscure relation.

On pourrait objecter que Et soudain, tout le monde me manque est un titre bien mal choisi pour un film avec l’omniprésente Mélanie Laurent. Qu’il répond au monologue sans fin qui a cours dans le cinéma français. Je vais bien, ne t’en fais pas. Ceci dit, tu vas rire, mais je te quitte… Et soudain, tout le monde me manque, donc. Passons. Ne jugeons pas le livre à sa couverture, disent les Anglo-Saxons. Non, ce qui est intéressant dans ce deuxième film de Jennifer Devoldère, c’est de noter l’évolution de la cinéaste. Son premier long, déjà avec Mélanie Laurent, fourmillait de bonnes idées, mais tournait à vide. Et Jusqu’à toi avait bien du mal à venir jusqu’à nous. Celui-ci relève moins de la boîte à idées, mais il n’en est que plus abouti et cohérent. Les personnages principaux, Mélanie Laurent – manipulatrice en radiologie qui passe ses nuits à utiliser le matériel pour passer aux rayons X tout ce qui lui passe par la tête (un frigo aussi bien que son mec) –, mais aussi Michel Blanc – la soixantaine cynique à l’aube d’un troisième enfant –, ont plus de consistance et d’épaisseur. Pourtant Jennifer Devoldère en dit toujours peu sur ce père et cette fille incapables de communiquer, de savoir qu’ils s’aiment et de se le dire. Elle use d’une infinie délicatesse, déjà perceptible dans son précédent film, pour montrer maladresses et non-dits. Une délicatesse qui tranche avec l’agressivité de ses personnages, mais rejoint leur pudeur. On pense aussi à Une petite zone de turbulences, la bonne surprise de l’an dernier signée Alfred Lot. Parce que Michel Blanc y tient le même genre d’homme, dont on sent bien qu’il a bon fond, mais secret, renfermé et un peu obsessionnel. Comme si c’était cela qu’inspirait Michel Blanc aujourd’hui. A croire qu’en tombant la moustache, on est passé à la face sombre de Jean-Claude Dusse et du François de Marche à l’ombre. Toujours drôle et maladroit, mais moins ridicule et bien plus touchant. Parce que l’émotion que la réalisatrice n’arrivait pas à susciter dans son premier essai est ici bien présente. D’autant plus efficace qu’elle est cachée pendant une bonne partie du film. Et soudain, tout le monde me manque réserve ainsi de jolies scènes, en s’appuyant à fond sur son idée lumineuse de radiographies détournées. Alors oui, terminer par « Le jour où j’ai vu le coeur de mon père », c’est appesantir un brin la métaphore. Tant pis, l’image est belle, l’émotion intacte.

Et soudain tout le monde me manque, de Jennifer Devoldère. France, 2010. En salle le 20 avril 2011.