Sicilian Ghost Story, de Fabio Grassadonia et Antonio Piazza

 

Conte de faits

Sicilian Ghost Story, de Fabio Grassadonia et Antonio PiazzaCe fut le premier moment d’émotion du Festival de Cannes : toute l’équipe de Sicilian Ghost Story qui s’enlace et fond en larmes au moment du générique de fin, des larmes écloses après cette toute première projection en ouverture de la Semaine de la critique, des larmes soutenues par une standing ovation interminable. Les lumières rallumées, personne ne veut quitter la salle. Il faut dire que pour leur deuxième réalisation après Salvo en 2013, les réalisateurs Fabio Grassadonia et Antonio Piazza ont créé là une œuvre atypique et esthétique qu’il sera difficile d’oublier. Le renouveau du cinéma européen vient peut-être de l’Italie…

Dans la mouvance d’un Paolo Sorrentino, Sicilian Ghost Story prend son temps pour distiller une atmosphère soyeuse et délétère en même temps. Le film est un mélange des genres dont les ingrédients ont été savamment choisis : un tiers de conte, un tiers de chronique amoureuse adolescente, un tiers de faits divers et quelques soupçons de thriller pour saupoudrer le tout. On a parfois l’impression de revivre un nouveau Labyrinthe de Pan. Car l’onirisme s’entremêle au réel pour masquer la cruauté et donner des bribes d’espoir. Soit l’histoire de Luna, amoureuse de Giuseppe. Ils sont beaux, ont 13 ans et vivent leurs premiers émois amoureux avec le sourire. Mais Giuseppe, fils d’un mafieux en train de livrer ses anciens camarades de braquage à la police, est enlevé pour faire chanter ce père aussi traitre qu’absent. Le film suit alors le destin de ces deux enfants qui deviennent adultes par la force de cette séparation : Luna qui veut tout faire pour retrouver son aimé, quitte à se perdre ; Giuseppe qui subit son destin dans des geôles dénuées de fenêtres. Sa seule distraction, son unique lien avec l’extérieur : relire une lettre d’amour que lui avait donné Luna avant son enlèvement.

Conte sur l’amour et la mort, Sicilian Ghost Story en emprunte tous les codes : la forêt, tantôt étrange et maléfique, tantôt sublime et protectrice ; la marâtre (la mère de Luna, stricte et peu câline qui revêt les oripeaux et le chignon serré de la Holly Hunter version Leçon de piano) ; le père trop tolérant qui passe tous ses caprices à Luna ; les animaux qui veillent sur les deux adolescents de près ou de loin. Mais ici, c’est le prince charmant qui est en captivité et sa belle qui tente de le délivrer. Il y a du Roméo et Juliette aussi, entre ces deux jeunes gens qui s’aiment sans pouvoir se l’avouer face à face. Ils sont issus de deux milieux différents. L’un d’un père malfrat, l’autre d’un monde ouvrier. Aucune des deux familles ne tolère qu’ils se voient en dehors de l’école. Mais leur amour les relie malgré la distance qui les sépare, malgré l’enfermement qui les confine, lui dans sa prison de fortune, elle dans sa chambre et sa dépression. Alors qu’ils s’étiolent simultanément, ils se retrouvent, pleins de vie, dans leurs rêves aussi beaux que funestes. S’il y a parfois des respirations humoristiques, Sicilian Ghost Story est comme un doux poison que l’on ne saurait s’empêcher de boire : c’est aussi bon que douloureux. Une beauté vénéneuse qu’il serait dommage de se priver d’admirer.

 
Sicilian Ghost Story de Fabio Grassadonia et Antonio Piazza, avec Julia Jedikowska, Gaetano Fernandez, Corinne Musaralli… Italie, France, Suisse, 2016. Présenté à la 56e Semaine de la critique.