Un vieillard cacochyme et mal embouché, persuadé qu’il a gagné le gros lot à un improbable tirage au sort par correspondance, cherche à rejoindre le Nebraska pour y recevoir son gain, à pied puisqu’il ne peut plus conduire. Un de ses deux fils se décide finalement à emmener son père en voiture chercher ce chèque auquel personne ne croit. Pendant le voyage, le vieillard se blesse et l’équipée fait une étape forcée dans une petite ville perdue du Nebraska qui s’avère être le lieu où le père a grandi. C’est ici que tout dérape.
Alexander Payne nous livre ce qu’il sait faire de mieux, à savoir son fameux « road movie pépère sauce aigre-douce sans édulcorant ni arôme artificiel ». Monsieur Schmidt et Sideways, déjà le prétexte à règlement du passé et réajustement du quotidien, étaient deux failles temporelles où les instants perdus qui ne se rattrapent plus retournaient à leurs maîtres comme pour mieux leur faire comprendre qu’on ne tire pas un trait si facilement sur ses actes et ses paroles. Le retour de bâton, qu’on appelle ça !
Avec Payne, les voyages ne forment pas la jeunesse mais libèrent les humeurs, pas forcément les meilleures et c’est d’ailleurs la « bonne » raison pour laquelle on sait d’avance qu’on ne s’emmerdera pas une seconde même au cœur des longs silences. Un cinéaste qui sait se taire ménage sa monture, et nous avec.
Pour bien s’engueuler la recette est simple ; il faut un bon partenaire à maltraiter, la bonne pâte qui ne pétera pas un câble au bout de 5 kilomètres (sinon le film durait un quart d’heure !) mais qui, bon an mal an, supportera une ambiance exécrable sans pour autant se laisser marcher sur les pieds (le compère tolère jusqu’au point ultime où il enclenche sa secrète machine à coller des bourre-pifs). Les échanges pimentés ne nuisent pas à la rigolade. A ce propos, le fils mériterait le prix Nobel de la Paix pour ne pas réduire son croûton de père en bouillie dès le premier virage.
Vous l’aurez compris, Nebraska exacerbe les non-dits sans pour autant balayer l’amour d’un revers de la main, sentiment omniprésent tout du long, véritable moteur du film. C’est l’amour qui conduit les personnages jusqu’au Nebraska.
Cette vieille baderne de Bruce Dern joue les ours mal léchés, tandis que le fils achève sa formation de dompteur tentant de comprendre le fonctionnement de son géniteur, l’animal sauvage qu’il est resté aux yeux de ses proches.
Nebraska ne manque pas de moments croustillants. On y voit les anciens tontons couler leurs derniers jours devant la télé et les jeunes cousins minauder pour tenter de s’accaparer une part du gâteau.
Quand le passé ressurgit d’un bloc, les vieilles rancœurs et les regrets semblent n’avoir jamais été oubliés. La hache de guerre est à porter de la main, ni enterrée, ni enfouie au fond du puits. Le personnage incarné par Stacy Keach, le vieil ami fourbe, la grande gueule de service, vaut tout l’or du monde pour sa capacité à profiter de la situation. A chacune de ses apparitions, son sourire carnassier nous fait penser que le ver est dans le fruit.
Nebraska se nourrit de tendresse et de pudeur. On croit y percevoir la réalité crue mais il faut du temps avant que les masques tombent. A fleur de peau, les hommes et les femmes sont beaux comme des camions.
Nebraska d’Alexander Payne avec Bruce Dern, Will Forte, June Squibb, Stacy Keach… Etats-Unis, 2013. Présenté en compétition au 66e Festival de Cannes. Sortie le 2 avril 2014. Sortie DVD le 20 août 2014.