Ellis a 14 ans et vit avec ses parents dans une maison sur pilotis au bord du Mississippi. Peu soutenu par ses parents, qui consacrent beaucoup de leur temps à se disputer, il passe le sien dans la rue avec son copain Neckbone, un orphelin qui vit avec son oncle. Lorsqu’ils partent sur une île pour chercher un coin à eux, ils rencontrent Mud, un grand type mystérieux qui prétend se cacher de tueurs à gages et attendre une femme. Ellis et Mud vont se lier d’amitié.
Parfois, il faut attendre le générique de fin pour savoir si un film est réussi. Plus rarement, il arrive qu’aux premières images, le spectateur se retrouve hypnotisé, comme ensorcelé par un philtre magique, et comprenne qu’il est devant un chef-d’œuvre. Mud est de ces films. Dès les premières minutes, l’atmosphère qui s’en dégage convoque la nature, fait appel aux sensations et à la poésie. En ressort une honnêteté intellectuelle, une ode à la vie. Le metteur en scène Jeff Nichols ne fait aucune concession : réalisateur, il est aussi l’auteur et le scénariste de son histoire, une façon de s’assurer de la totale adéquation de l’œuvre finale avec celle qu’il a imaginée. Comme dans Shotgun Stories et Take Shelter, deux premiers films étincelants du cinéaste, Mud est l’histoire d’un instant décisif d’une vie. Take Shelter abordait magistralement la peur de la fin (fin d’une vie, d’une famille, d’une situation) et la psychose qu’elle pouvait engendrer. Shotgun Stories évoquait l’amour d’une fratrie unie dans le malheur. Mud se présente presque comme une synthèse de ces deux films ; on y retrouve les mêmes thèmes chers à Nichols, le même optimisme éclatant. Quête initiatique sur le passage précipité à l’âge adulte, la découverte de l’amour et des désillusions qui lui correspondent, Mud appelle l’espoir.
A part le personnage de Mud (Matthew McConaughey, génial dans un rôle à contre-emploi de rêveur mystique), justement, les adultes semblent tous désabusés. C’est lorsque Ellis lui-même perd sa foi qu’ils agissent et retrouvent leur passion, prêts à tout pour ceux qu’ils aiment. Jeff Nichols laisse les choses aller, les événements se dérouler dans un chaos supposé qui va finalement trouver sa place dans l’univers, comme par magie. Avec une économie de paroles bienvenue, sans jamais trop appuyer son propos, sans didactisme ni discours moralisateur mais une maîtrise de la mise en scène qui passe par une virtuosité scénaristique et des plans à hauteur d’enfant fabuleux. De ce troisième film lumineux surgit ce qu’on entrapercevait déjà depuis un moment : à 34 ans, Jeff Nichols est un cinéaste riche et humaniste au talent prodigieux dont on souhaite l’imagination et la foi en l’autre infinis, ainsi qu’une liste d’œuvres à venir longue, très longue.
Mud de Jeff Nichols, avec Matthew McConaughey, Tye Sheridan, Reese Witherspoon, Sam Shepard, Michael Shannon… Etats-Unis, 2012. En compétition au 65e Festival de Cannes. Sortie le 1er mai 2013.
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