Le Secret derrière la porte, de Fritz Lang

 

Le Secret derrière la porte, de Fritz LangAprès avoir connu l’âge d’or du cinéma muet et livré des films qui deviendront des classiques absolus de l’histoire du cinéma (M le Maudit, Docteur Mabuse ou Metropolis), Fritz Lang, profondément choqué à l’idée d’être récupéré par la propagande nazie, quitte l’Allemagne en 1933. Après une escale en France, où il prend tout de même le temps de tourner un film (Liliom, 1934), il s’exile définitivement aux Etats-Unis l’année suivante. S’engage alors une seconde carrière d’une grande densité où il tourne à rythme soutenu des films de tout genre – western, aventure, drame social, thriller – pour tous les grands studios (MGM, RKO, Twenty Century Fox, Universal…). Grand technicien du cinéma et véritable auteur, il imprime à chacun son style baroque et sa virtuosité tout en tirant chaque scénario vers des questionnements universels et profonds sur la nature humaine ou la société. Maître de l’expressionnisme – où chaque élément composant l’image devient psychiquement signifiant – fasciné par la démence (Dr Mabuse) et les pulsions criminelles (M), rien de surprenant à ce que Fritz Lang, d’origine viennoise, s’inscrive dès 1944 avec La Femme au portrait dans cette nouvelle tendance de la production US où le thriller se teinte de psychanalyse. Un genre nouveau porté avec brio et succès par Alfred Hitchcock dès son premier film américain, Rebecca (1940) – conte gothique adapté de Daphné Du Maurier – puis avec La Maison du docteur Edwardes (1945) et ses séquences oniriques aux décors peints par Dali.

Sorti en 1948, Le Secret derrière la porte, thriller psychanalytique et douzième film hollywoodien de Fritz Lang, creuse un peu plus le sillon de ce sous-genre du film noir. Il y est question d’une riche héritière américaine (Celia Barrett, interprétée par Joan Bennett) qui, lors d’un voyage au Mexique, s’éprend follement de Mark Lamphere (Michael Redgrave), un brillant architecte. Après un mariage éclair, la passion cède vite la place au malaise face aux zones d’ombres d’un époux qu’elle ne connaît pas. En s’installant dans la demeure Lamphere – qui n’est pas sans rappeler le manoir de Rebecca – Celia découvre, entre autres choses, que son mari a un fils de son ex-femme décédée dans de mystérieuses circonstances. Mark se révèle alors un homme insondable aux comportements étranges ; comme cette passion singulière qui consiste à reconstituer à l’identique dans une aile de la maison des chambres où des meurtres célèbres ont eu lieu. Bien qu’il se plaise à les ouvrir à ses convives, une des chambres reste strictement interdite à toute visite…

Libre variation autour du thème principal de Barbe Bleue de Perrault – au passage, source intarissable pour tout scénariste en recherche de consistance psycho-analytique – Le Secret derrière la porte dresse le portrait d’un pervers narcissique submergé par ses pulsions homicides. Fétichiste et manipulateur comme le personnage du conte, il crée les conditions d’un piège retors et animal où l’épouse trop curieuse pour résister à l’interdit se jette naïvement. L’ogre, qui l’avait pourtant prévenue, peut alors légitimement la dévorer… La composition hiératique de Michael Redgrave apporte au personnage de Mark Lamphere une dimension reptilienne glaçante et malsaine. Dans le rôle de la proie promise aux crocs du serpent, Joan Bennett campe une Celia Barrett volontaire qui, malgré son fort tempérament, succombe à une passion aussi impérieuse qu’immature la condamnant à une courte vie. C’est pourtant de ce même caractère, à l’instar de la dernière épouse de Barbe Bleue, qu’elle trouve force et courage, et toujours un peu d’inconscience, pour ne pas se transformer en victime.

Clairs-obscurs d’une beauté sidérante, cadres et mouvements d’appareil somptueux toujours au service de la narration… Dès la séquence d’ouverture, onirique et expressionniste estampillée Fritz Lang, on est littéralement happé par cette intrigue vénéneuse où la précision de chaque détail répond à la compulsion maladive d’un prédateur misérable. Envoûtant film noir au symbolisme sexuel puissant, drame labyrinthique dans les méandres d’un esprit malade – le manoir et ses chambres – Le Secret derrière la porte est assurément une référence devenue culte, car très souvent injustement oubliée, du thriller psychanalytique. Malgré des bonus à l’intérêt limité – à l’exception du document sur la fascination de Fritz Lang pour le crime – cette édition Blu-Ray HD restaurée et remasterisée est l’occasion parfaite de rendre justice à ce classique du genre en le redécouvrant dans les meilleures conditions.

 
Le Secret derrière la porte de Fritz Lang, avec Michael redgrave, Joan Bennett… Etats-Unis, 1948. Sortie DVD et Blu-Ray remastérisée le 20 mars.
Suppléments :

  • Joan Bennett : la « chose enrobée de cellophane » (10′) : Le rendez-vous manqué entre une comédienne fantasque et son destin de star.
  • « Pourquoi suis-je intéressé par le meurtre ?» (17’) : Mise en images d’un entretien avec Fritz Lang sur sa fascination pour le crime.
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