La Chasse, de Thomas Vinterberg

 

Mads Mikkelsen dans La Chasse, de Thomas VinterbergDans la garderie d’un petit village, Klara raconte à la directrice comment on a abusé d’elle. La petite fille se rétracte, mais les mots sont dits, la rumeur enfle. La Chasse est le récit de la descente aux enfers d’un accusé de pédophilie.

14 ans après le glaçant Festen, Thomas Vinterberg aborde de nouveau le thème de la pédophilie. Œuvre miroir de Festen (les deux films ont plusieurs éléments en commun, notamment un manoir, lieu de réunion en pleine nature), La Chasse ne se place cette fois pas du côté de la vérité mais de celui du mensonge. De la rumeur. Car l’innocence de l’employé du jardin d’enfants, Lucas, est sue dès le début. La directrice, ébranlée par l’histoire de la petite Klara, en oublie la présomption d’innocence et entache la réputation de celui-ci, alors même que la police n’est pas encore prévenue. D’ami fidèle du père de Klara, d’employé idéal et de petit ami craquant, Lucas devient la bête noire du village. Crédible ou non, ce n’est pas la manière dont les choses se déroulent qui intéresse le cinéaste. Thomas Vinterberg décrit le mode opératoire de la calomnie, qui se nourrit d’elle-même ; lorsque Klara essaie d’avouer son mensonge, sa mère l’interrompt doucement : « Ton cerveau essaie d’oublier, mais tu sais, c’est vraiment arrivé. »

Le spectateur, attaché à son siège, les yeux écarquillés comme ceux d’Alex DeLarge dans Orange mécanique, est forcé de prendre parti. D’un côté un Lucas a priori exemplaire, incarné par un génial Mads Mikkelsen aussi séduisant qu’inquiétant. De l’autre, une communauté de beaufs haineux. On en arrive à éprouver nous-mêmes de la haine pour ceux-là, les mêmes qui lynchent leurs pareils dans la rue sans raison apparente, ceux qui accusent à tort, ceux qui rendent Outreau possible. Pourquoi ce qui semble crever les yeux pour nous ne l’est pas pour eux ? C’est le tour de force de Thomas Vinterberg : La Chasse est un film sur la rumeur, le mensonge, mais aussi la peur, le doute et la culpabilité. D’abord convaincus de l’innocence du personnage, quelques ellipses savamment placées, quelques plans terribles nous renvoient en pleine face la question de la culpabilité. Et si, finalement, il s’était passé quelque chose d’interdit ? Si ce personnage inexpressif qui peine à se défendre cachait de lourds secrets ? Non, évidemment. Mais la question est posée. D’innocent, l’homme devient non-coupable. Et Vinterberg de nous confronter à notre propre haine, notre propre suspicion, et nous de comprendre, honteusement, pourquoi ce qui semblait si évident ne l’est pas forcément. Quant à la victime, ancien présumé coupable, elle verra toujours dans les yeux de ses amis cette méfiance irrationnelle, et sera éternellement poursuivie par ses démons, comme le souligne une séquence finale sujette à multiples interprétations. Bouleversant.

 
La Chasse (Jagten) de Thomas Vinterberg, avec Mads Mikkelsen, Thomas Bo Larsen, Annika Wedderkopp… Danemark, 2012. En compétition au 65e Festival de Cannes. Prix du jury œcuménique du 65e Festival de Cannes.

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