Discussion de comptoir autour de La guerre est déclarée, de Valérie Donzelli

 

 
La guerre est déclarée, de Valérie Donzelli- Alors, t’as vu le film de Valérie Donzelli ?
- La guerre est déclarée ? M’en parle pas… Je l’aurais plutôt appelé Dommages collatéraux mais c’était déjà pris par Schwarzenegger… Tu veux une bière ?
- Nan, merci, j’en peux plus… Donc t’as pas aimé ?
- C’est peu dire…
- Pourtant c’est un film viscéral, une ode à la vie avec des moments de grâce, d’enchantement…
- C’est ce que tout le monde dit… Mais franchement, je comprends pas comment on peut être touché par des séquences musicales aussi lourdes… Moi, ça m’a complètement fait sortir du film ! T’as entendu cette affreuse reprise de “Manha de carnaval”, le thème d’Orfeu negro, avec tous ces violons qui dégoulinent à la fin ?! Alors que l’original de Bonfa était si simple, beau, décharné…
- T’exagères, c’est un détail…
- Un détail ? Attends, j’ai eu l’impression qu’un bon quart du film était un vidéoclip sur des images de Love Story… A la limite, ça aurait pu être un bon moyen métrage, mais là, tout ce remplissage…
- Et ce n’est quand même qu’un détail, à côté de l’équilibre entre la gravité du sujet et la légèreté du ton : c’est fin, gracile, incertain, bourré de vie… Arriver à parler du cancer d’un gamin sans jamais une once de pathos, c’est tout de même assez grand, non ? Voilà un film organique, qui jaillit dans tous les sens… avec un appétit de vie et d’amour palpable… c’est rare !
- Je vois… T’as des enfants, c’est ça ?
- Oui, j’ai des enfants, mais quel rapport ? Toute critique a beau être subjective, je trouve hors de propos qu’elle devienne personnelle, alors…
- Attends, je dis pas ça pour toi… Seulement pour le coup, la critique me paraît trop unanime pour n’être pas suspecte… Et je crois que ce qui l’a charmée, et j’ai même envie de dire aveuglée, c’est d’abord le caractère autobiographique du film : le fait qu’elle raconte sa propre histoire en jouant son propre rôle, en faisant tourner le père de son enfant dans le rôle du père de l’enfant… Bref, cette espèce d’étrange pari psychologique qui est une immense preuve d’amour pour son couple et qui appelle de grands mots comme “catharsis”, tout ça… Seulement, le film en lui-même, en dehors de son projet et du charme effectivement indéniable de Valérie Donzelli et Jérémie Elkaïm, je l’ai trouvé long, naïf et prévisible…
- Justement Jérémie Elkaïm, parlons-en… Cette voix stable, profonde… presque aussi chavirante que celle de Louis Garrel… Alors tu vois, tu râles sur la musique, très présente, d’accord, mais tu fais comme si tu ignorais la musicalité des souffles, des corps… Qui sont tous très justes, très fins…
- M’ouais… Dans ce cas, c’est Johnny Cash chez Grey’s Anatomy
- T’es de mauvaise foi…
- Pour le dire autrement, La guerre est déclarée m’a beaucoup fait penser à ces disques de chanson française, tu sais, pas méchants mais vraiment inutiles… Et puis cette réalisation typée, entre Klapisch et Christophe Honoré… Honoré que je trouve tout aussi agaçant d’ailleurs…
- N’importe quoi !
- Non, pour moi c’est pareil, ça reste moins grossier qu’Amélie Poulain, mais de là à hurler au bouleversement, il y a un gouffre… C’est mignon et gentil, mais l’enthousiasme autour m’irrite franchement…
- Bref, t’es un puritain, quoi…
- Je crois pas… Est-ce être puritain que de refuser les bons sentiments ?
- Les bons sentiments, en plus de la musique… la liste est longue ?
- Non, quand la musique est écoutée par les personnages du film, qu’ils dansent dessus, qu’ils la chantent, en général, j’apprécie… Je trouve ça honnête.
- En gros t’aimes la musique chez Rohmer… A part ça, t’es pas du tout puritain ?
- Si tu veux… De toute façon, je me fais toujours traiter de marxiste réactionnaire.
- Meuh non, Cosette, le prends pas pour toi non plus… C’est juste que je trouve injuste et léger de balancer comme ça Donzelli et Honoré en cinq minutes !
- Sans doute, mais bon, on boit, là… Et c’est juste que les clins d’œil systématiques à Demy et Truffaut, ça m’emmerde… Et puis, je n’aime profondément pas cette tendance douce-amère, ce côté pauvre petite fille riche du Quartier latin hyper-complaisante.
- Parce que toi, bien sûr, tu ne l’es jamais ?
- C’est pas ça… C’est que je préfère les films qui savent trancher… C’est-à-dire que je me méfie de cette tendance à la mélancolie douce, bourgeoise et bohème… J’aime mieux Huysmans, ou les aristocrates qui se suicident cash… Ou encore l’hilarité féroce… Le feu follet ou la voie lactée, si tu veux…
- Puritain ! Puritain ! Ah, ah ! Allez, vas-y sors-le, ton hors-du-plan-fixe-point-de-salut , t’y es presque !
- Attends… Monsieur, s’il vous plaît, on va vous prendre deux pintes… Sinon, je sais pas ce que tu en penses, j’ai l’impression que les mouettes sont des animaux assez antipathiques…