Le Grand Soir, de Benoît Delépine et Gustave Kervern

 

“On est parti sur (…) la mythologie grecque à Montpellier avec un Diogène moderne, le punk à chien, quelqu’un qui laisse tout tomber pour vivre dans un tonneau.”

Gustave Kervern

 
Albert Dupontel dans Le Grand SoirDans la famille Bonzini, il y a la mère (Brigitte Fontaine) qui s’acharne à peler des patates. Le père (Areski Belkacem) un peu lent du bocal depuis son AVC et leurs deux fils. Soit Not (Benoît Poelvoorde), plus vieux punk à chien d’Europe dormant dans les maisons miniatures d’une aire de jeu, se nourrissant de yaourts quémandés aux caddies qui passent, se lavant à la fontaine du rond-point du coin. A ses côtés, Jean-Pierre (Albert Dupontel), commercial dans un magasin de literie, obsédé par ses ventes et un brin sur les nerfs. Le jour où Jean-Pierre craque son dernier fusible et se fait licencier, il rejoint son frère pour zoner à son tour. Leur territoire : zone commerciale et pavillonnaire. Autour, les champs à perte de vue. Dans ce no man’s land, où toutes les routes mènent à des parkings ou à des ronds-points, les projets de révolte meurent dans leur coquille. Car, oui, au bord de cette route nationale où s’alignent les grandes enseignes, toutes les flammes revendicatrices semblent éteintes.

Delépine et Kervern signent un western moderne avec harmonica qui résonne, crête de punk qui progresse dans l’espace urbain, cow-boys indisciplinés qui traversent le champ de la caméra et enchaînent les pitreries. Si le film déborde d’inventivités visuelles, il s’affiche très vite comme une succession de saynètes pour dire l’illusion des soulèvements populaires et prôner une certaine lenteur rebelle. L’objectif est de faire rire – ce qui fonctionne la plupart du temps tant Poelvoorde et Dupontel se prêtent au jeu avec une énergie émulative – mais surtout de séduire et d’épater la galerie. Le mélange humour noir/désespérance sociale est toujours présent évidemment. Les deux réalisateurs échevelés fustigent la crise économique et la surconsommation. Les minutes passent et les voilà qui rayent de leur liste noire tout ce que se doit d’attaquer un tel film : l’exploitation, le flicage, le joug de l’emploi, la propriété privée, etc. Ils se désespèrent de voir un homme s’immoler aux yeux de tous sans que personne ne sourcille.

Soit. Mais Le Grand Soir peine à atteindre le niveau des précédents opus. On aurait souhaité que le joyeux bordel qu’annonçait la première réunion de famille des Bonzini perdure tout au long du film. Les deux fils face à leur père, qui ne les écoute que d’une oreille, monologuent sur leurs préoccupations respectives dans un brouhaha à peine audible. Et Delépine et Kervern de faire durer le plaisir de la scène pendant plusieurs minutes.
Alors punk mais pas trop non plus ce Grand Soir. Le réquisitoire contre le capitalisme laisse échapper quelques clichés éculés et sentences bien naïves. Là où Mammuth, Louise-Michel, Avida ou Aaltra s’imposaient comme des longs-métrages déjantés, Le Grand Soir semble trop propret. Il y a quelque chose qui ne convainc pas dans cette façon de faire l’éloge du hors-norme tout en mettant les deux pieds dans la norme. Et le film de s’essouffler par manque de fond.

 
Le Grand Soir de Gustave Kervern et Benoit Delépine, avec Albert Dupontel, Benoît Poelvoorde, Brigitte Fontaine… France, 2012. Prix spécial du jury Un Certain Regard au 65e Festival de Cannes.

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