The Story of G.I. Joe, de William A. Wellman

 

L'affiche de The Story of G.I. Joe de WellmanDepuis le 3 octobre dernier, date à laquelle débutait le Festival Lyon Lumière, je regarde des films de guerre. Sérieusement. Car là-bas, au cœur d’une programmation qui avait de la gueule, on a pu voir ou revoir les œuvres de William Augustus Wellman, cinéaste des “héros qui sont assis à ne rien faire” pour reprendre l’expression du critique Many Farber. Et notamment, ce qui me ramène à mon engouement pour les films de guerre : The Story of G.I. Joe (aka Les Forçats de la gloire) qui contribua, paraît-il, à la naissance de la petite poupée G.I. Joe et dont la copie restaurée sort chez Wildside ce 1er février 2012, agrémentée de deux documents précieux : le livre inédit de Michael Henry Wilson Le Ciel ou la boue, qui retrace en détail l’histoire du film et de sa réalisation, et le bouleversant documentaire de John Huston The Battle of San Pietro, tourné sur le front entre 1943 et 1944, dont William Wellman s’est inspiré pour son propre film. (1)
 
Seconde Guerre mondiale, Ernie Pyle est correspondant de guerre. Il suit la progression de la compagnie C du 18e régiment d’infanterie américain. L’Afrique du Nord. L’Italie. Dans ses carnets, le reporter raconte le quotidien des soldats, leurs relations amicales, leurs attentes, leurs devoirs… « Il sut traduire en phrases simples les souffrances, les espoirs, l’existence résignée mais héroïque des plus humbles combattants », dira de lui Jean Néry dans L’Ecran français. Pyle, peintre de la réalité du front, des héros ordinaires qui n’ont pas vraiment choisi d’être là.

En 1945, Wellman fait de Pyle l’un des personnages principaux de son film The Story of G.I. Joe et de ses reportages, lus quotidiennement par 40 millions d’Américains, le socle de son histoire. Comme dans les textes d’Ernie Pyle (2) écrits au plus près de la terre et des combats, Wellman livre un long-métrage au contenu quasi documentaire dont les critiques de l’époque souligneront l’abandon de “l’héroïsme de pacotille, où les G.I. jouent aux cow-boys contre des Japonais qui font office de Peaux-Rouges” (Sortie Paris, 1949).

The Story of G.I. JoeTerre à terre, le film ne quitte pas les hommes du regard. Des hommes qui marchent dans la boue, traversent des tempêtes de sable, affrontent la pluie. Attendent aussi. Beaucoup. Posant leurs culs boueux où ils peuvent et demandant au détour d’un chemin : « Après la guerre, je veux une carte pour savoir où je suis allé. » Des gueules cadrées serrées un peu paumées auxquelles on s’attache et dont on suit, avec un intérêt grandissant, les tracas quotidiens, les tics, les moments d’abattement ou de complicité. Pas étonnant que cette pépite ait inspiré Eastwood pour ses Lettres d’Iwo Jima ou Kubrick pour Full Metal Jacket

A la tête du bataillon, il y a le lieutenant Walker, Robert Mitchum, qui accède avec ce rôle à la notoriété (une nomination pour le meilleur second rôle aux Oscars). Là encore, Wellman filme la solitude, les doutes et les prises de décision d’un homme désabusé qui doit conduire ses hommes à la bataille. Meredith Burgess (le futur Mickey de Rocky) incarne, quant à lui, Ernie Pyle dont on suit l’intégration et l’affection grandissante pour les soldats dont il partage le quotidien. « Je vais jusqu’au terminus… » répond Pyle à Walker, « …si ça vous va ? » Si Wellman le place toujours de côté, à l’arrière du camion ou en queue de peloton, il insiste tout au long du film sur la simplicité de son regard et la curiosité saine qu’il avait envers ces hommes et ce qu’ils traversaient.

Et ce que traversent ces hommes, c’est la guerre et ses combats ineptes. Wellman le martèle d’un bout à l’autre de son film. Passant d’un registre à l’autre pour dire le gâchis. D’une séquence surréaliste pendant laquelle il transforme une scène de combat en véritable opérette, soldats américains et allemands se livrant bataille sur les ruines d’une église avec chute d’ange en stuc et sentence finale : « C’est un drôle d’endroit pour tuer des gens »… à une longue et sinistre attente au pied d’une colline pendant laquelle les hommes de Walker partent en éclaireurs et ne redescendent pas toujours, pètent les plombs et vivent courbés dans des terriers…

Les Forçats de la gloire de WellmanWellman avait lui-même servi comme ambulancier, puis pilote dans l’escadrille La Fayette et c’est peut-être aussi un peu pour cela que le film insiste sur la réalité du front davantage que sur l’héroïsme des combats. Certains dénoncent la traduction du titre anglais The Story of G.I. Joe, devenu Les Forçats de la gloire. Il faut au contraire lui reconnaître sa pertinence. Des forçats, des bagnards condamnés aux travaux forcés, dans l’ombre des victoires : voilà ce que filme Wellman. Des hommes condamnés à avancer dans une guerre à laquelle ils ne comprennent pas grand-chose. Pas étonnant que Tavernier, qui présentait le film au Festival Lumière, travaille à la diffusion de l’œuvre de Wellman et de ce film en particulier. On y retrouve cette mise en scène sobre chère au réalisateur, son inclination pour la boue, la pluie et le naturel des combats…

Voilà donc pour un premier film de guerre… A suivre sur les pages de Grand Écart : La Ligne rouge.

» Continuer avec l’interview de Michael Henry Wilson

 
(1) Les Forçats de la gloire (The Story of G.I. Joe) de William A. Wellman, avec Burgess Meredith, Robert Mitchum, Freddie Steele… Etats-Unis, 1945. Sortie le 1er février 2012 dans la collection Classics Confidential de Wildside, accompagné de l’ouvrage illustré de 80 pages de Michael Henry Wilson, Le Ciel ou la boue.
(2) Ernie Pyle a supervisé le projet de Wellman pour veiller à son authenticité.