Amours, catastrophes et crustacés

 

Airport 75Quoi de mieux pour vous donner l’envie de partir en voyage que la trilogie Airport et son cortège de catastrophes aériennes ! Airport’75 avec Charlton Heston, Airport’77 avec Jack Lemmon et Airport’80 avec Alain Delon. Mais ce n’est pas tout ! Vous pourrez apprécier le conflit indopakistanais dans le génial Aux frontières des Indes, goûter à l’occupation de la Malaisie par les Japonais dans le terrible Ma vie commence en Malaisie (avec la craquante Virginia McKenna), appréhender les complexes guerres tribales au Nigéria dans Mozambo et vous esbaudir devant la révolte des Kenyans dans Simba. Mais ce n’est pas tout ! Vous saurez tout de l’amour dans trois formidables longs-métrages de Douglas Sirk avec Le Temps d’aimer et le temps de mourir, La Ronde de l’aube et Tempête sur la colline. Du cinéma, du cinéma et encore du cinéma.

Airport’75’77’80

La trilogie Airport fonctionne toujours sur le même mode. D’abord une présentation de l’équipage et des voyageurs où l’on apprend dans une ambiance festive les secrets des uns et des autres. Un vieil alcoolique, un steward lubrique, une rombière en mal d’amour, un orphelin, une jeune mariée composent peu ou prou le panel classique d’une distribution condamnée à enfiler masque et gilet de sauvetage à partir de la 45e minute. Croyez-le ou non, mais plus c’est gros et mieux ça passe. Un rêve. La série Airport est le plus efficace des lubrifiants cinématographiques. Après la revue des troupes, c’est enfin le drame. Classique. Une fois la dépressurisation effectuée, tout ce petit monde flippe sa race, serre des fesses et le coté sombre de la nature humaine fait son œuvre. Le bellâtre s’avère un pleutre, la jeune mariée cache une jambe de bois et le vieil alcoolique, ancien pilote durant la Seconde Guerre mondiale, refuse de prendre les commandes sous prétexte qu’il a perdu ses lunettes dans la Loire.
Tous les acteurs et les actrices s’amusent comme des petits fous, et cachetonnent. Seul Alain Delon semble contrarié par le balai coincé dans son cul.
Les trois films sont bourrés de charme et ce grâce aux ambiances « tournage en studio » et le coté vintage ultra seventies.
Bref, c’est aussi fun et drôle que toute la filmographie de François Truffaut.

Airport 75Airport’75 « 747 en péril » réalisé par Jack Smight avec Charlton Heston, Karen Black, George Kennedy, Gloria Swanson…

Afin d’éviter l’épaisse nappe de brouillard qui recouvre Los Angeles, le Boeing 747 de la Columbia Airlines s’apprête à atterrir à Salt Lake City. Alors que le commandant Stacy entame sa descente vers l’aéroport, le pilote d’un petit avion de tourisme est victime d’une crise cardiaque et se crashe dans le cockpit du 747. Le pilote est grièvement blessé et incapable de tenir les commandes. Avec l’aide des aiguilleurs du ciel, la chef de cabine Nancy va tenter de maintenir l’avion en vol…
Avant d’appuyer sur la touche « play » de son lecteur, on se demande un poil méfiant si Charlton Heston plombera l’atmosphère à lui tout seul armé de son sourire carnassier. Il n’en est rien. On retrouve l’acteur solaire, amoureux, absolument décontracté comme s’il prenait ce nouveau film-catastrophe comme la plus chouette des récréations. Cette vieille baderne de George Kennedy (le George Kennedy qui inspirera plus tard Zucker pour Y a-t-il un pilote dans l’avion) assure comme un chef devant son combo saturé de boutons. Ce n’est pas tant la crédibilité qu’il faut louer mais la tension savamment dosée. L’avion aurait dû se désagréger au premier choc mais la magie du cinéma, c’est aussi de voler décapoté.
Ultra badass, comme dit ma grand-mère.

Airport 77Airport’77 « Les naufragés du 747 » réalisé par Jack Lemmon, Lee Grant, Joseh Cotten, James Stewart, Christopher Lee…

Le richissime Américain Philip Stevens a décidé d’exposer sa collection d’œuvres d’art dans sa résidence de Palm Beach. Son avion privé, un Boeing 747, transporte toute sa collection, ainsi que de nombreuses personnalités amateurs d’art. Mais quand l’avion est détourné par des pirates de l’air, c’est le drame : le Boeing 747 s’écrase au milieu du triangle des Bermudes. L’avion coule lentement et échoue sur un banc de sable, à plusieurs mètres de profondeur.
Le plus cool, le plus kitsch et le plus assumé de tous les épisodes. La moustache frétillante de Jack Lemmon et le visage aquilin du grand Christopher Lee y sont pour beaucoup. Ce convoi de mondains est d’autant plus réjouissant à observer que l’on souhaite assez rapidement qu’ils meurent dans d’atroces souffrances ! Si Airport’75 suit un schéma classique, Airport’77 prend des airs parodiques. En effet, les caractères des personnages surlignés au Stabilo Boss semblent touchés par une épidémie de psychoses. La version française, et sa pléiade de doubleurs, vaut son pesant de peanuts.
Mon préféré.

Airport 80Airport’80 « Concorde » réalisé par David Lowell Rich avec Alain Delon, George Kennedy, Robert Wagner, Susan Blakely, Sylvia Kristel…

Kevin Harrison, ingénieur talentueux, conçoit de puissants systèmes d’armes pour l’armée. Mais c’est un personnage sans scrupules : il vent ses armes à des pays peu favorables aux Etats-Unis. Lorsque la journaliste Maggie Whelan apprend ses agissements, elle s’échappe en embarquant sur le Concorde. Harrison organise alors une série d’attentats pour détruire le supersonique en plein vol. Le commandant et son équipage pourront-ils déjouer ses attaques ?
Avec Airport’80, série B rôtie à la sauce catastrophe, bardée d’espionnage et mâtinée de comploïte aiguë, on ne sait plus trop où donner de la tête. Sur ce troisième opus, las de détruire son image, Boeing passe la main à Concorde. Alain Delon, pilote sérieux comme un pape, est sans aucun doute persuadé de piloter le vrai Concorde. Parfois, quand il desserre un peu les dents, on imagine qu’il revient des toilettes.
Robert Wagner livre une prestation de haute volée en méchant guindé qu’il endossera à nouveau dans Austin Powers.
Bref, la teneur en crédibilité atteint les 1 %. Le Concorde slalome entre les missiles. Ça secoue les boyaux ! Génial !

Aux confins des mondes

Quatre œuvres « Cinéma Master Class » qui nous emportent sur quatre théâtres d’opération. Ces films, aussi différents soient-il, évoquent les affres de l’occupation et de la colonisation. Aux frontières des Indes est un pur film d’aventures sur fond de conflits indo-pakistanais. Au contraire, Ma vie commence en Malaisie nous emprisonne sur une île. Simba et Bozambo reviennent sur les très complexes guerres tribales. Indiens et Africains se libèrent du joug des colonisateurs. Les Blancs résistent tant qu’ils peuvent. Voilà une merveilleuse sélection géopolitique.

Aux frontières des IndesAux frontières des Indes réalisé par J. Lee Thompson avec Lauren Bacall, Kenneth Moore, Herbert Lom, Wilfrid Hyde White…

A la fin du XIXe siècle, le capitaine Scott (Kenneth Moore) est envoyé en mission aux frontières des Indes. Il doit sauver un jeune prince et sa gouvernante américaine (Lauren Bacall) d’une rébellion. Scott a pour instruction de les escorter à Kalapur, où ils seront enfin en sécurité. La tradition veut que tant que l’enfant est en vie, aucun coup d’Etat ne puisse triompher. Ils embarquent à bord d’un train afin de traverser le pays. Un périple de 500 kilomètres semé d’embûches mortelles commence alors.
Deux heures à bord d’un train qui file à toute vitesse. Aux frontières des Indes propose toutes les péripéties possibles et inimaginables. Le rythme ne faiblit pas. La tension est maintenue jusqu’au bout du bout. C’est un film simple et efficace. Herbert Lom (le commissaire torturé par l’inspecteur Clouseau) incarne un douteux journaliste. On se méfie. On s’épie. L’enfant est en danger. Qui est le traître ?
Un chouette moment de cinéma.

Ma vie commence en MalaisieMa vie commence en Malaisie réalisé par Jack Lee avec Virginia McKenna, Peter Finch, Marie Lohr, Renee Houston…

Une jeune Anglaise fortunée (Virginia McKenna) revient en Malaisie pour aider des villageois à construire un puits. Les souvenirs de sa vie troublée par la guerre remontent alors à la surface. Elle se remémore son histoire d’amour avec Joe (Peter Finch). En 1942, les Japonais envahissent le pays et font prisonniers les colons britanniques. Les deux amants se rencontrent dans un camp, et surmontent ensemble de terribles épreuves afin de survivre. Jusqu’à ce qu’un jour, Joe doive se sacrifier pour sauver les autres captifs.
Ma vie commence en Malaisie revient sur l’occupation de la Malaisie par les Japonais, un pan d’histoire peu connu de la Seconde Guerre mondiale. On y voit la débâcle des colons britanniques devenus en quelques heures des migrants sans le sou. Les familles arpentent les routes dans l’espoir de quitter le pays. Les Malaisiens, quant à eux, observent une nouvelle fois des soldats ennemis piétiner leurs terres.
A part la romance, tendre et jamais cucul la praline, le film ne fait pas dans la dentelle. Les hommes, les femmes et les enfants apprennent à survivre. Ainsi, naît une nouvelle société. Une nouvelle société de prisonniers avec ses propres règles et ses propres codes. Même si les geôliers veillent au grain (tout fonctionne à la baguette, même à la cantine), les représentations de la cité à l’occidentale repointent le bout de leur nez.
Ma vie commence en Malaisie est un grand film. L’intelligence de l’écriture me pousse à vous le recommander. Virginia McKenna qui porte le film sur ses épaules est magnétique.

SimbaSimba réalisé par Brian Desmond Hurst avec Virginia McKenna, Dirk Bogarde, Donald Sinden, Earl Cameron…

Au début des années 1950, Alan Howard (Dirk Bogarde) s’installe au Kenya pour s’occuper de la ferme de son frère aîné, brutalement assassiné par des insurgés en lutte contre les colons. Tout en combattant la révolte du chef de tribu Simba, il tombe amoureux de Mary (Virginia McKenna), la fille d’un voisin exploitant. Même si la jeune femme partage son amour, elle condamne la croisade d’Alan contre les indigènes.
Voici l’histoire de l’insurrection des Mau Mau qui a embrasé le Kenya de 1952 à 1956. On apprend beaucoup du fonctionnement des tribus mais surtout des relations et interactions entre Kenyans du cru, ouvriers africains au service des Blancs et fermiers.
Le film n’évite pas l’écueil du camp humaniste contre le camp raciste mais les intentions sincères de montrer la situation telle qu’elle est, à savoir intenable entre indigènes et envahisseurs européens, valent le détour. Pas besoin de sortir de Saint-Cyr pour comprendre que la carte géopolitique de la région ne sera plus la même. Seule certitude, le soleil se lèvera tous les matins et se couchera tous les soirs. Quant au reste…
Très conseillé.

BozamboBozambo réalisé par Zoltan Korda avec Paul Robeson, Leslie Banks, Nina Mae McKinney, Robert Cochran…

Au Nigéria britannique, le commissaire Sanders (Leslie Banks) a réussi à pacifier sa province de manière exemplaire. Son plus fidèle allié est le valeureux chef de tribu Bozambo (Paul Robeson). Mais quand le colon quitte la région, le roi Mofolaba, qui vend les siens comme esclaves, enlève la femme de Bozambo pour en faire un exemple. Les tensions montent et les guerres tribales semblent être inévitables.
Comme le dit Jean-Pierre Dionnet dans les bonus, Bozambo pourrait faire office de documentaire. On observe l’Afrique, la vraie, d’il y a 80 ans car les acteurs et les figurants ont été invités à jouer leur rôle. Avant la décolonisation, les guerres tribales faisaient rage.
Rythme soutenu, trépidant. Dépaysement garanti.

Cycle Douglas Sirk

Tempête sur la collineTempête sur la colline réalisé par Douglas Sirk avec Claudette Colbert, Ann Blyth, Robert Douglas, Anne Crowford…

Condamné à mort pour le meurtre de son frère, Valerie Carns est escortée à Northwich pour y être exécutée. Mais une inondation force ses gardes à s’abriter dans un couvent en haut d’une colline, où tout un village trouve refuge pendant les intempéries. Dans ce lieu hors du temps, protégé des drames du monde extérieur, la sœur infirmière Mary se persuade de l’innocence de la jeune femme et entreprend de la sauver.
Un thriller original où une bonne sœur mène l’enquête. Sœur Mary se démène comme une furie pour sauver les fesses de Valerie Carns. D’abord, elle doit faire fi des doutes de son entourage puis prendre son courage à deux mains pour remonter le cours des événements. C’est aussi beau (la photo de l’oscarisé William Daniels est superbe) que divertissant.

La Ronde de l'aubeLa Ronde de l’aube réalisé par Douglas Sirk (oui, forcément !) avec Rock Hudson, Robert Stack, Dorothy Malone, Jack Carson…

Dans les années 1930, Roger Shumann, une ancienne gloire de l’aviation, vétéran de la Première Guerre mondiale, en est réduit à faire de la figuration comme cascadeur sur quelques circuits minables. Sa gloire passée est un lointain souvenir. Au cours d’un meeting aérien, il rencontre Burke Devlin, un jeune journaliste bien décidé à redonner une chance au pilote grâce à ses écrits. Mais le destin de l’ancien héros attriste tout autant le reporter que sa belle épouse l’attire irrésistiblement.
La Ronde de l’aube, quel titre merveilleux, est une formidable étude de caractère tirée d’une nouvelle de William Faulkner. Sirk s’empare du travail de l’écrivain et l’épure pour le meilleur. Tout tient dans le personnage de Dorothy Malone, reine des garces. Comme toujours chez Sirk qui construit sa narration autour des oppositions, les hommes n’en mènent pas large.
Comme le dit Jean-Pierre Dionnet dans les bonus, « Voyez le film une première fois puis laissez reposer. Revoyez-le une deuxième fois et observez l’incessant jeu de miroir. »
Ultra-conseillé.

Le Temps d'aimer et le temps de mourirLe Temps d’aimer et le temps de mourir réalisé par Douglas Sirk (quoi ? encore lui ?) avec John Gavin, Liselotte Pulver, Keenan Wynn, Thayer David…

1944. Seconde Guerre mondiale. Ernst Graeber, jeune soldat allemand témoin des horreurs de la guerre sur le front russe revient dans sa ville natale pour quelques jours de permission. Snif. Il découvre sa maison détruite par les bombes et part à la recherche de ses parents portés disparus. Mon dieu. Snif. Pour l’aider dans sa quête, il demande conseil à Elisabeth, dont le père, opposant politique est prisonnier d’un camp de concentration, et Oscar Binding, un camarade chef de district du parti nazi. Ouh la la. Snif. Le couple va tenter de garder un semblant de raison en survivant dans un monde en ruine, nourri par la haine, la folie et la mort. Snif.
Un immense film qui longtemps vous hantera. La terre gelée, les exactions, les villages abandonnés, la folie des soldats, le prologue nous embarquent sur le terrible front russe. Puis quand Ernst Graeber, le soldat en permission revenu de l’enfer, parcourt les ruines de sa ville natale, l’effet est à nouveau garanti car l’horreur est aussi perceptible que sur les positions russes. A chaque scène, on sent les personnages en sursis.
L’histoire d’amour apporte un supplément d’inquiétude. L’équilibre mental de la jeune Elisabeth ne tient qu’à un fil. Mais ils s’aiment. Les épreuves se succèdent tout comme les bombardements. Ces deux âmes en peine qui recherchent leurs parents disparus doivent encore se confronter à la Gestapo.
La mise en scène onirique de Sirk, époustouflante de beauté, est à couper le souffle. Imaginer les ruines d’une cathédrale aménagées en décor d’opéra. Nous foulons les décombres d’un ancien paradis. Rarement j’ai pu expérimenter un film aussi inconfortable confondant le sublime et la terreur.
Les interprétations de John Gavin et Liselotte Pulver sont à la hauteur de l’enjeu.
Chef-d’œuvre.

Ces 10 films sont disponibles en DVD et Blu-ray chez Elephant Films.