Gérardmer 2023 : Blood, Piaffe, Watcher, La Tour et Memory of Water

 

En manque de calcium…

Piaffe, d'Ann OrenAprès une ellipse virale de trois ans et autant de jours de compétition, c’est le moment de faire un point d’étape à mi-parcours de cette 30e édition du Festival de Gérardmer.

Côté off, l’Espace Lac est intact. On a comme l’impression de reprendre le fil de l’histoire. Les fauteuils rouges sont en place, les discours protocolaires interminables, Nirvana passe en mode jingle, le jury se présente façon brochette et le public connaît ses gimmicks. À part ça, la montagne est belle, le froid intense, la neige durcit le long des rues, les hôteliers sont sympas, les restaurateurs aussi. Mention spéciale pour les génies qui vendent des fondues où le fromage est aussi rare que la pluie au Sahel…

Côté in, cinq films d’une sélection au mieux intrigante, au pire peu inspirante viennent de nous passer sous les yeux. En l’absence totale d’émotions fortes, la tendance est pour l’heure à l’abattement mais pas à la résignation. Car, comme le dit si bien la sagesse populaire, c’est à la fin du bal qu’on paie les musiciens. Alors, par ordre d’apparition sur l’écran de l’Espace Lac, voici quelques premières impressions à chaud de ce qui nous a traversé le cerveau depuis mercredi…

Blood de Brad Anderson… Maman, j’ai raté le tendon

Une femme dont le divorce se passe mal prend ses deux enfants sous le bras pour déménager à la campagne dans la ferme de sa défunte tante. Là, de mauvais esprits dont on ne saura rien, infectent le gentil chien de la famille qui se met à croquer les mollets et la jugulaire du petit dernier. Revenu de loin, le pré-ado se réveille à l’hôpital avec un besoin vital de consommer du sang. D’abord horrifiée, sa mère décide de le nourrir en secret quel qu’en soit le prix à payer… Série B de consommation ordinaire calibrée pour les dimanches soir de déprime, Blood est un thriller horrifique aiguillé par un drame familial. Michelle Monaghan y fait honnêtement son job dans un rôle de mère courage égorgeant sans état d’âme lapins et patients pour nourrir son petit vampire. Scénaristiquement paresseux, mollement incarné, honnêtement réalisé, le film met en scène la formule populaire qui veut qu’on se saigne aux quatre veines pour ses enfants. À des années-lumières de la rugosité de The Machinist, Brad Anderson assure avec application le service minimum.

Piaffe de Ann Oren… Copine de cheval

Alors qu’elle travaille sur un spot publicitaire où elle doit bruiter un cheval en position piaffe (le piétinement avant l’élan), une bruiteuse vit un puissant séisme existentiel à propos de son identité sexuelle… Véritable curiosité d’une sélection où il était plutôt osé de lui faire une place, Piaffe est un objet arty et cérébral qui représente pour l’instant la seule véritable bonne surprise du festival. Inspirée par les techniques du cinéma expérimental (scories sur la pellicule, surimpressions, travail sur le son…), la réalisatrice venue des beaux-arts affiche une incontestable beauté formelle sur tous ses plans. Une audace artistique époustouflante qui traverse des séquences orchestrées comme une succession de tableaux agencés par un montage à la fois juste et ambitieux. Côté fond, la symbolique du cheval prêt à s’élancer et la dimension fétichiste du travail de bruitage viennent étayer un propos parfois abscons sur la soumission aux normes genrées. Pourtant, malgré toutes ses qualités naturelles, Piaffe pèche par un manque de chair sans doute hérité de sa (f)rigidité nordique originelle. Un peu trop long, un peu trop précieux, un peu trop crâneur mais tellement brillant, le film d’Ann Oren devrait recueillir les suffrages unanimes de toutes celles et ceux qui se cognent des jumpscares et des zombies.

Watcher de Chloe Okuno… Atmosphère, atmosphère

Un couple de trentenaires américains s’expatrie à Bucarest pour des raisons professionnelles. D’origine roumaine et parfaitement bilingue, le mari s’épanouit dans son nouveau job. Au contraire de sa jeune épouse qui traîne son spleen et sa solitude dans une ville dont la culture lui est totalement étrangère. Seule dans son grand appartement, elle distingue chaque soir la silhouette d’un homme qui la regarde depuis l’immeuble d’en face. Dans le même temps, un tueur en série sévit dans son quartier… Ambiance noire et crépusculaire pour ce pur thriller qui lorgne du côté de la période française de Polanski pour la paranoïa urbaine et domestique. Avec ce Lost in Translation sous le ciel plombé de Bucarest, la réalisatrice réussit à installer un climat inquiétant et à ménager ses rares effets avec une belle maîtrise. Malheureusement, alors qu’on s’oriente vers un final bien noir et non consensuel, un dernier twist absurde vient doucher nos espoirs de voir enfin un bon film de genre. Au travail sur un remake de l’effrayant Audrey Rose (1977) de Robert Wise, Chloe Okuno ne manque pas d’arguments pour réussir à se faire une place dans le monde de l’horreur d’atmosphère.

La Tour de Guillaume Nicloux… Ma cité a craqué

Les habitants d’une tour de cité délabrée découvrent à leur réveil qu’ils sont coupés du monde par une brume noire qui avale tout ce qui entre en son contact. Piégé dans le bâtiment, tout le monde s’organise pour survivre. Des groupes commencent alors à se former sur des critères raciaux. Mois après mois, année après année, le cauchemar continue et la nature humaine s’exprime dans toute son horreur… Réalisateur tout terrain, aussi à l’aise sur un thriller que sur un drame à gros casting ou un projet expérimental, Guillaume Nicloux s’essaie cette fois à la fable post-apocalyptique à caractère social. Tragique et claustrophobique, La Tour tient parfaitement sa promesse initiale. Maîtrisé dans sa gestion de la violence en circuit fermé, habile dans les changements de rythmes, le film maintient une tension diffuse qui satisfait enfin les émotions qu’on est venu y chercher. Moins convaincant et brouillon, son propos anti-communautariste manque en revanche un peu trop de clarté pour faire vraiment mouche. Reste un final nihiliste et infiniment triste qui va sans aucun doute permettre à ce cauchemar social d’attraper son prix au passage.

Memory of Water de Saara Saarela… La soif du vide

Dans un futur baptisé nouvelle ère, la Terre s’est asséchée et l’eau pure vient à manquer. En Scandinavie, une dictature militaire a pris le pouvoir en répartissant la ressource à la population selon son bon vouloir. Dans un petit village, une jeune maîtresse du thé découvre un secret qui pourrait changer la donne mais la mettre en grand danger… Après une introduction prometteuse où il faut reconnaître le soin apporté à l’image et à la reconstitution d’une société nordique au look rigoriste et rétro-futuriste, on bascule bien vite dans la trame et les codes narratifs d’une dystopie young adult ripolinée à la sauce cli-fi. Sur un scénario microscopique qui respecte scolairement la charte éditoriale du genre (le gentil qui est en réalité le méchant, l’héroïne qui en pince pour lui mais préfère sauver le monde, la bonne copine qui trahit avant de changer d’avis, la dictature d’opérette…), le film affiche tout du long un inquiétant deux de tension au compteur, des dialogues dignes d’un épisode de Dora l’exploratrice et un sous-texte écologique dont on se fiche très vite comme d’une guigne. En résumé, ne jamais oublier que derrière une image racée et un thème engagé peut couler des tonnes de guimauve.

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