Eva ne dort pas, de Pablo Agüero

 

Don’t look for me Argentina

Eva ne dort pas, de Pablo AgüeroD’Eva Peron, la plupart d’entre nous connaît surtout le tube de Madonna Don’t Cry For Me Argentina, interprété lorsqu’elle tenait le rôle-titre du film Evita. Nous n’en apprendrons guère plus avec Eva ne dort pas, qui tient plus de la fantasmagorie que de la biographie ou de l’enquête historique. Le réalisateur Pablo Agüero surprend dès les premiers instants par la voix off de Gael Garcia Bernal – dont le visage est sur l’affiche, mais pas plus de cinq minutes à l’écran – traitant Eva Peron de tous les noms, trouvant les insultes les plus basses. Ce militaire, marchant lentement de son pas oppressant, raconte la mort et la disparition du corps de cette figure adulée, regrettant de ne pas avoir fait en sorte de s’en débarrasser pour de bon, d’avoir laissé place à la légende.

Malgré cette attaque brutale et intrigante, Pablo Agüero fait ressentir rapidement, notamment par des images d’archives, l’aura d’Evita auprès de la population argentine. Une présence fascinante au-delà de la mort. Il met alors en scène le corps défunt, dans une lumière belle et sombre, qui sacralise le personnage, avant de le profaner dans une scène d’embaumement mystique. Eva ne dort pas, de Pablo AgüeroOn est happé par cette ambiance christique, les débuts, sous nos yeux, d’une religion athée et politique. Le film prend un nouveau tournant avec l’enlèvement du corps par les militaires. C’est cette fois la présence étrange de Denis Lavant qui s’offre au spectateur. Seul dans une camionnette bringuebalante, passant de mystérieux coups de fil, il transporte le cercueil pour une destination secrète. Avant d’être rejoint par un jeune soldat, à son tour pris par le charisme du corps momifié.

Mais c’est là qu’Eva ne dort pas stagne. Après 45 minutes intenses dans une ambiance très travaillée, avec peu de moyens mais beaucoup d’efforts sur les sons et les lumières, le film se perd en dialogues abscons. D’abord une joute virile entre Denis Lavant et le soldat, puis la confrontation entre le général Aramburu déchu – responsable du coup d’Etat et de la disparition du corps, caché au Vatican pendant 17 ans – et de jeunes péronistes arrogants. Tout ce qui fascinait dans la première partie s’évapore peu à peu, pour des longues séquences en plan fixe un peu vaines. L’évocation est plus forte que la parole. Comme si le mythe ne pouvait que se ressentir, se suggérer, mais en aucun cas laisser place à la parole, à la vanité des hommes.

 
Eva ne dort pas (Eva no duerme) de Pablo Agüero, avec Denis Lavant, Imanol Arias, Daniel Fanego, Gael Garcia Bernal… Argentine, 2015. Sortie le 6 avril 2016.