La Dame de fer, de Phyllida Lloyd

 

La Dame de fer de Phyllida LloydOn avait déjà subi les pénibles pérégrinations ABBAiennes de Meryl Streep dans Mamma Mia. On la retrouve une nouvelle fois aux côtés de la réalisatrice Phyllida Lloyd dans le costume bien plus corseté de celle qui fut, avec Churchill, l’un des personnages les plus influents du Royaume-Uni. Autrement dit, c’est du lourd. Plus question de jouer les Dancing Queen ! Meryl Streep est donc Margaret Thatcher, Maggie pour les intimes, la Dame de fer pour ses ennemis. Agée de 86 ans, retirée de la vie publique, elle se repasse le film de sa vie. Hantée par le fantôme bienveillant de son mari, Denis Thatcher (Jim Broadbent), elle se souvient à travers lui de ses débuts, de ses années passées au 10 Downing Street, jusqu’à sa chute. Quarante ans de carrière parcourus dans une série de va-et-vient entre passé et présent.

Coiffure parfaitement figée, port de tête altier, regard sévère, accent so british !, Meryl Streep tient son rôle à la perfection. A tel point que les récompenses se bousculent déjà au portillon : un Ours d’or d’honneur pour l’ensemble de sa carrière, le Golden Globe de la meilleure actrice, l’actrice vient de triompher aux Bafta (British Academy Film Awards, l’équivalent britannique des Oscars) et est évidemment en lice pour les Oscars, les vrais, dont la cérémonie se tiendra le 26 février prochain. Autant de récompenses méritées, tant sa performance est remarquable. Mais alors, qu’est-ce qui cloche ? Eh bien, tout le reste.

Se confronter à Margaret Thatcher, c’est se confronter à l’histoire hors norme de cette fille d’épicier modeste de Grantham qui accéda à la plus haute marche de l’exécutif britannique. C’est se confronter à l’histoire de la première et unique femme qui dirigea le parti conservateur de 1975 à 1990. La première et unique femme Premier ministre du Royaume-Uni, élue à trois reprises de 1979 à 1990. Mais c’est surtout se confronter à l’histoire de celle qui marqua de son sceau une politique nationale et internationale sans concession, quitte à s’attirer les foudres de toute une génération. Ange gardien pour les uns, fée Carabosse pour les autres, Margaret Thatcher reste l’un de ces “monstres” politiques, féroces et intransigeants dont l’action ne peut laisser indifférent.

Meryl Streep dans La Dame de ferMais cette histoire hors norme, Phyllida Lloyd et sa scénariste Abi Morgan ont choisi de la raconter de la façon la plus normée qui soit. Elles ont choisi d’en universaliser le singulier, d’en édulcorer les tenants et les aboutissants. Elles ont choisi de se confronter à ce destin imbibé de politique en l’essorant de toute sa substance. On ne s’attaque pas à Margaret Thatcher avec une caméra en sucre ! Et sous prétexte de vouloir prendre de la distance vis-à-vis d’une chronologie d’événements, Phyllida Lloyd se répand allègrement dans une mise en scène impersonnelle et frileuse.

Le principal tour de force de ce film tient dans sa capacité à contourner l’inévitable. A survoler à coup d’images d’archives et de répliques sentencieuses ce qui fut pourtant l’une des périodes politiques britanniques les plus délicates. A faire de l’une des grèves les plus longues de l’histoire du Royaume-Uni (celle des mineurs de 1984-1985) une terne croisade contre le socialisme et le “despotisme syndical”. A passer outre les chars dans les rues de Belfast ou la grève de la faim entamée en 1981 par des prisonniers de l’IRA (1) et de l’INLA (2) et à réduire la question irlandaise à une seule affaire de terrorisme. Ou encore à figurer la guerre des îles Malouines (3) comme une simple partie de Risk. Alors quoi ? On nous montre une Margaret anti-socialiste, anti-communiste, apôtre du libéralisme économique, une eurosceptique et une ardente protectrice des territoires de son empire. Du moins ce qu’il en reste. Bref, c’est comme si on nous apprenait que le général de Gaulle était anti-atlantiste !

Affiche de La Dame de fer de Phyllida LloydMais la réalisatrice se défend volontiers d’avoir voulu faire un film politique, prétendant avoir préféré favoriser le parcours intime et le combat personnel d’une femme extraordinaire. “Dans La Dame de fer, le spectateur mesure la force des convictions de Margaret Thatcher et la férocité de son intransigeance, mais il n’est jamais amené à porter un jugement politique.” Et de préciser : “Aucun d’entre nous n’a eu la vie publique ni le statut de Margaret Thatcher, mais nous sommes tous capables de comprendre ce que peuvent représenter les relations de travail, la famille, de même que les notions de renoncement, de deuil et de soutien.” C’est donc pour répondre à ce je-ne-sais-quel besoin d’universalité (toujours lui !) que Phyllida Lloyd nous dresse le portrait fastidieux d’une femme finalement pas si différente de vous et moi qui, avec son lot de certitudes et de doutes, aura su tracer sa voie dans un univers impitoyable et phallocrate. Une femme seule qui se sera construite à la seule force de ses espérances, de son obstination et ce aux dépens de sa vie de famille. Blablablabla… Vous les entendez monter les violons ? Que veut-on nous faire comprendre ? Que prendre le pouvoir, diriger un pays, ce n’est pas simple ? Que ça demande des sacrifices ? Une force de caractère ? Que ce n’est pas tous les jours facile ? Non, sans blague ! C’est tout de même exaspérant cette façon qu’ont trop souvent les réalisateurs de céder au chant des sirènes du consensus dès lors qu’il s’agit de revisiter la vie des grandes figures de ce monde. Mouillez-vous un peu, que diable ! D’autant plus qu’ici, la méthode est grossière, l’émotion, téléguidée. A l’écran, la maladresse flirte parfois avec le mauvais goût : gros plan sur de petits escarpins perdus au milieu d’une armée de souliers cirés, plan large sur un tailleur bleu noyé dans une marée de costumes noirs, ralentis pompeux.

Reste un sentiment de profonde insatisfaction devant une Dame de fer médiocre, ankylosée dans une sorte d’entre-deux douceâtre mi-privé, mi-public, pour finalement s’enliser sur les deux tableaux. Le politique est à peine effleurée, et l’intime, d’une triste banalité. Et aussi brillante soit-elle, Meryl Streep apparaît comme le seul point d’orgue d’un biopic qui frôle trop souvent la cacophonie, embourbé dans une réalisation bancale et quelconque.

 
(1) Irish Republican Army, nom porté, depuis le début du XXe siècle, par plusieurs organisations paramilitaires luttant par les armes contre la présence britannique en Irlande du Nord.
(2) Irish National Liberation Army, une dissidence marxiste de l’IRA officielle.
(3) Un territoire britannique d’outre-mer au large de l’Argentine.

La Dame de fer de Phyllida Lloyd, avec Meryl Streep, Jim Broadbent, Susan Brown… Angleterre, 2011. Sortie le 15 février 2012.


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