Electric Boogaloo, de Mark Hartley

 

Boulet de Cannon

Electric Boogaloo, de Mark HartleyIl y a quelques mois, Hilla Medalia nous avait gratifiés d’un joli documentaire sur l’odyssée des cousins Menahem Golan et Yoram Globus, partis d’Israël pour conquérir Hollywood. Ils avaient racheté une petite société de production indépendante en 1979, Cannon, devenue très vite une usine à films au budget (souvent) mini, à la réalisation approximative et au montage insensé. Le documentaire s’appelait The Go-Go Boys et propageait la légende de Cannon prêchée par ses ex-dirigeants, sur le mode « grandeur et décadence » des prophètes de l’industrie du bis américain.

Electric Boogaloo est le pendant non autorisé de The Go-Go Boys. Un hommage ironique aux navets qui ont bercé l’enfance des pré-quarantenaires d’aujourd’hui, captivés jadis par les improbables jaquettes VHS des séries Portés disparus, American Ninja et autres Justicier dans la ville. Celui qui avait déjà signé un documentaire consacré au cinéma d’exploitation australien (Not Quite Hollywood, 2008) utilise dans Electric Boogaloo les outils de ses victimes : le film est aussi foutraque qu’une production Cannon, distillant à l’envi extraits de productions Z et interviews partiales au montage épileptique, pimentés par des animations eighties déjantées. Démarche consciente ou non, le métrage d’Hartley est brouillon, mais ce n’est pas ce qu’on en retient. Ce qui reste, c’est la quantité de personnes impliquées dans l’aventure au fil des années 1980 (acteurs, réalisateurs, producteurs, scénaristes, monteurs, responsables des effets spéciaux…), aux hallucinants et inénarrables témoignages. Les Michael Dudikoff, Dolph Lundgren, Richard Chamberlain, Elliott Gould, Jerry Schatzberg, Boaz Davidson, Albert Pyun qui reviennent sur leurs collaborations et font montre de peu de bienveillance envers les cousins : des « charlatans » qui ne « comprenaient rien au cinéma », plus forts pour gagner de l’argent que pour porter une œuvre artistique. Et toutes ces filles à la plastique parfaite auxquelles il était invariablement demandé de se dénuder, même dans les situations les plus incongrues. Bo Derek, Olivia d’Abo, Catherine Mary Stewart, Lucinda Dickey ou Laurene Landon, qui brûle même sa copie d’America 3000 devant la caméra de Mark Hartley. Seule une poignée d’artistes qui y ont trouvé leur compte – Chuck Norris, Franco Zeffirelli, Michael Winner – témoignent en bien de l’épopée Cannon. Les deux Israéliens avaient compris que les années 1980 constituaient une ère cinématographique de sexe et de sang à profusion ; mais ils avaient oublié qu’une histoire est également nécessaire. Roger Corman, autre pape du ciné d’exploitation US, a laissé quelques précieuses séries B (et Z) à notre patrimoine : chez lui tout allait vite, un film servait d’ailleurs tout juste à financer le suivant, mais l’amour du cinéma est toujours resté au centre de la création. Pour preuve les nombreux réalisateurs et acteurs de renom qui ont débuté avec Corman. Le groupe Golan-Globus, lui, s’est fait rattraper par la course à la gloire et le besoin d’argent, délaissant en premier lieu le septième art et laissant à Hollywood, outre quelques rares perles de cinéma bis, un héritage malsain de gros sous et de système de préventes controversé. Mark Hartley égratigne largement le mythe de la Cannon, mais il le fait, si ce n’est avec amour, avec tendresse et beaucoup d’humour.

 
Electric Boogaloo (Electric Boogaloo : The Wild, Untold Story of Cannon Films) de Mark Hartley, avec Dolph Lundren, Bo Derek, Richard Chamberlain, Tobe Hooper, Michael Dudikoff, Richard Kraft, Elliott Gould… Etats-Unis, 2014. Sélection hors compétition au 22e Festival du film fantastique de Gérardmer. Sortie DVD le 15 janvier 2015.