Black Coal, de Diao Yinan

 

Histoire de changer d’ère…

Black Coal, de Diao YinanEn 1999, un employé d’une carrière minière est retrouvé assassiné et son corps dispersé aux quatre coins de la Mandchourie. L’inspecteur Zhang mène l’enquête, mais doit rapidement abandonner l’affaire après avoir été blessé lors de l’interpellation des principaux suspects. Cinq ans plus tard, deux nouveaux meurtres sont commis dans la région, tous deux liés à l’épouse de la première victime. Devenu agent de sécurité, Zhang décide de reprendre du service. Son enquête l’amène à se rapprocher dangereusement de la mystérieuse jeune femme.

Grand vainqueur de la Berlinale 2014 (Ours d’or du Meilleur film et Ours d’argent du Meilleur acteur pour Liao Fan), Black Coal de Diao Yinan s’impose comme l’archétype parfait de ce regard implacable posé sur la Chine depuis un quart de siècle par les réalisateurs de la sixième génération. Cette génération post-Tiananmen, soucieuse de rendre compte de la réalité brute de leur pays. De reconsidérer l’individu indépendamment du collectif et du carcan de la morale communiste. Et de le replacer au cœur de leur réflexion en le confrontant à travers leurs films aux changements violents de la nouvelle société chinoise. La transition vers une économie mondiale libérale, le chômage, l’écart grandissant entre riches et pauvres…

Tout en rendant hommage aux heures les plus lumineuses du film noir américain, entre les rues mornes d’un Troisième Homme et les personnages funèbres et alcoolisés d’une Soif du mal (deux mythes du grand écran dont Diao Yinan revendique volontiers la filiation artistique), le réalisateur s’appuie sur l’errance solitaire et tourmentée de son ex-inspecteur reconverti en vigile de sécurité renfrogné pour dépeindre les faces cachées d’une Chine du XXIe siècle. Aux côtés du personnage, on plonge dans le quotidien industrieux d’une petite ville de province du nord du pays. On progresse pas à pas dans ce véritable labyrinthe urbain. D’un salon de coiffure à une boîte de nuit en passant pas des bus abandonnés recyclés en gargotes de fortune pour clients fauchés. Là une usine, ici un pressing et sa mystérieuse employée… A travers le regard de son inspecteur Zhang, Diao Yinan nous emmène à la rencontre des gens ordinaires entraînés malgré eux dans les remous tumultueux d’une nouvelle ère politique et culturelle, alors qu’ils croulent toujours sous les restes encore chauds d’un passé chargé. Et pour donner corps à cette juxtaposition étrange et complexe du passé et du présent, le cinéaste s’amuse, comme dans ses œuvres précédentes, à se placer à la lisière entre rêve et réalité. Que ce soit par des jeux de mise en scène – comme cette audacieuse ellipse narrative, le temps du passage sous un tunnel. On y rentre en 1999, on en ressort en 2004. Ou par le choix d’une photographie très graphique – éclairages aux néons, atmosphères nocturnes quasi fantastiques. Une façon également pour Diao Yinan de mettre de la distance, de susciter nos imaginaires et d’inciter à la réflexion.

Black Coal se révèle d’une richesse narrative exceptionnelle qui, si elle peut déstabiliser dans un premier temps, finit par nous étourdir par son étonnant entrelacs de couleurs dramatiques. A la fois film noir, policier, thriller, romance, tragédie, peinture sociale et sociologique. Le cinéaste jouant de son pinceau pour passer à sa guise d’une teinte à une autre. Un film virtuose, élégant et exigeant sur la rédemption, le deuil, le souvenir et le passage du temps.

 
Black Coal de Diao Yinan, avec Liao Fan, Gwei Lun Meiz, Wang Jingchun… Chine, 2014. Sortie le 11 juin 2014.

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