Athée, indépendant, sauvage ébouriffé et doux rêveur, Didier joue du banjo dans un groupe de Bluegrass Country. Superstitieuse, pétillante, mystérieuse, la sensualité à fleur de peau, Elise fait dans le tatouage. Entre le cow-boy et sa Cendrillon, la passion… et bientôt, une petite fille, Maybelle. Mais la douce mélodie se met vite à dissoner lorsqu’au cours de sa sixième année, la jolie Maybelle tombe malade. C’est un cancer. Il sera sans pitié…
La dernière fois que l’on avait croisé Felix Van Groeningen, il se baladait nu comme un ver, à califourchon sur son vélo, arpentant un bout de Croisette avec tous ses poteaux. C’était lors de la présentation de La Merditude des choses à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes 2009. On découvrait alors ce jeune réalisateur flamand qui en était pourtant déjà à son troisième long-métrage, après Steve + Sky (2004) et With Friends Like This (2007). On découvrait son cinéma un peu fou, généreux, frénétique, visuellement très fort. Un cinéma aux habitants extravagants, burlesques, outranciers. Mais derrière ce vernis de démesure, on y devinait déjà les coups de pinceaux d’un artiste délicat, posant son regard authentique et pertinent sur des sujets dramatiques. La misère, la violence, l’absence, la solitude, la création (de soi)…
Des qualités que Felix Van Groeningen est loin d’avoir perdues en passant derrière la caméra pour la quatrième fois et que l’on retrouve dans ce bel Alabama Monroe. Le film est tiré d’une pièce écrite par Johan Heldenbergh et Mieke Dobbels, intitulée The Broken Circle Breakdown featuring the Cover-Ups of Alabama. C’est assez naturellement que Van Groeningen a donc choisi Johan Heldenbergh (déjà présent dans La Merditude des choses) pour incarner Didier. Veerle Baetens, quant à elle, est Elise. Deux acteurs absolument irréprochables de bout en bout. Un duo fantastique accompagné par la toute jeune Nell Cattrysse qui, du haut de ses 5 ans, se révèle parfaitement à la hauteur.
L’amour, la naissance, la maladie, la mort, la douleur et l’impuissance de ceux qui restent, le repli sur soi… Alabama Monroe brasse tellement de choses. A tel point qu’on se demande comment son réalisateur est parvenu à toutes les contenir en un seul film. Felix Van Groeningen y entremêle encore une fois les extrêmes. Enlace la féerie d’un amour total, fusionnel à la tragédie d’un enfant emporté prématurément vers son grand voyage. Et entre les deux, la poésie du Bluegrass. La country « sous sa forme la plus pure », explique Didier à Elise. Un violon, une basse, une mandoline, une guitare et un banjo. La musique comme narrateur invisible dont la présence imprègne l’ensemble du récit, lui indiquant la direction à suivre. La musique comme prolongement de l’émotion ou simple parenthèse entre deux couleurs, deux espaces, deux atmosphères. Des intermèdes qui endiguent tout débordement pathétique. Felix Van Groeningen filme au goutte à goutte. Rien à voir avec les énormes seaux d’eau déversés par Valérie Donzelli dans sa Guerre est déclarée. Le réalisateur fait preuve d’une belle maîtrise, tirant insensiblement sur la bride là où la réalisatrice y allait à grands coups de cravache. Comme dans La Merditude des choses, Felix Van Groeningen a opté pour une narration décousue, structurée en aller-retour, croisant les différents « moments » de vie d’Elise et Didier. De leur rencontre à leur lutte désespérée pour rester la tête hors de l’eau, après la perte de leur petite fille, en passant par leurs instants de bonheur partagé. Le cinéaste zappe d’un univers à l’autre, sans jamais s’appesantir. Au fil de cette alternance très soignée, Van Groeningen ne nous laisse ainsi pas le temps de choisir entre le rire ou les larmes, pour mieux nous maintenir dans un entre-deux subtil. Un jeu génial de « oui mais non » qui exalte l’émotion et la puissance dramatique du film.
Alabama Monroe de Felix Van Groeningen, avec Johan Heldenbergh, Veerle Baetens, Nell Cattrysse… Belgique, 2012. Sortie le 28 août 2013.
Après le très bon souvenir laissé par la “Merditude des choses”, le réalisateur Felix Van Groeningen revient avec un film fragile et esthétique, puissant et subtil, porté par un trio de comédiens exceptionnels : Johan Heldenbergh (magnétique et auteur de la pièce de théâtre dont le film est tiré), Veerle Baetens (une révélation dont on entendra sûrement parler à l’avenir), mais aussi Nell Cattrysse dans le rôle de Maybelle, leur petite fille fruit de leurs amours tourmentées, étonnante, aussi virevoltante que grave. Si le montage est composé de flash back incessants, ces derniers sont parfois inutiles, tant une narration traditionnelle n’aurait aucunement été dérangeante pour le spectateur : cette histoire d’amour aussi forte que peu conventionnelle se suffit en effet à elle-même. Felix Van Groeningen signe ainsi le plus américain des films flamands avec une bande-son country éblouissante, d’ailleurs bande originale la plus vendue de ces dernières années en Belgique. Et si Elise tatoue sur son corps les prénoms qui jalonnent sa vie, ce sont des images léchées qui empreignent la rétine (que n’aurait pas renié le Terrence Malick de Tree of life), expériences sensorielles envoûtantes, parfois explosives et foutraques. L’émotion jaillit de scène en scène, au rythme de chansons lancinantes au banjo, laissant la mélancolie habiter peu à peu la vie qui surgissait si bien et si charnellement, au début. Au final, nous n’aurons assisté qu’à la lente déliquescence d’un amour fusionnel qui emportait tout. Mais quel amour et quelle histoire !