Humeur #1 : Adieu Gillou

 

Gilles JacobLes temps changent à Cannes. Cette année 2015 marque la première édition du Festival sans Gilles Jacob. Ce qui veut dire sans son sourire d’éternel gamin, ravi de se retrouver là, en haut des marches, au milieu de tous ces « talents » – oui, c’est le terme cannois qui remplace « équipe de film », « acteur », « réalisateur », ou tout ce qui fait que ce « talent » est de ce côté-là des escabeaux. Sans les photos de ces mêmes talents immédiatement transmises sur Twitter. Sans le live-tweet énigmatique des délibérations – en fait des photos, sans aucune indication précise, du jury en train de déjeuner, de parler, ou de se prélasser au bord d’une somptueuse piscine. Et comme le jury compte cette année parmi ses membres Jake Gyllenhaal et Sophie Marceau, on voit déjà les internautes regretter le plus branché des retraités. Le changement de ton s’est vu dès la rituelle conférence de presse dévoilant la sélection. Gilles Jacob avait l’habitude de faire tomber la pression et l’impatience en anesthésiant tout le monde avec un discours sur l’état du monde et du cinéma. Un discours qu’on s’est pris à regretter quand son successeur, Pierre Lescure, a si peu parlé de cinéma, entamant directement son propos par un éloge des partenaires privés du Festival. Coucou le maquilleur des « talents », coucou l’une des plus grandes fortunes – et mécènes – de France, coucou le joailler qui fabrique la Palme. De son côté, Thierry Frémaux n’a pas non plus commencé par sa liste de chiffres détaillés. Tout juste saura-t-on que 1 854 films ont été envoyés aux sélectionneurs (et donc vus, jure le chef). Et le délégué général de continuer sur la grande voie du changement en niant avec force les habituelles accusations concernant les « abonnés », terme qu’il affectionne particulièrement. On nous promettait une sélection « belle », « nouvelle », qui « prend des risques », « pose des hypothèses », amène de « nouveaux noms ». Et puis, au fur et à mesure qu’il égraine la sélection, on s’aperçoit que c’est surtout un changement dans la continuité. Certains sont certes pour la première fois en compétition, mais arpentent la Croisette depuis plusieurs films, dans les sections parallèles.Pierre Lescure D’autres donnent le sentiment qu’ils seraient sélectionnés même s’ils se contentaient d’un post-it assurant sur l’honneur que leur film sera prêt pour la quinzaine cannoise sans en montrer plus de cinq minutes au comité de sélection. Au final, cette cuvée 2015 est un savant mélange des contraintes cannoises : du glamour (mais attention, pas de selfies), des grands films (or, il se trouve que « les grands auteurs font les grands films », justifie Thierry Frémaux), un soupçon de polémique (autre que les traditionnels « c’est très bien, mais ça n’a rien à faire en compétition »), et un gramme de politique (une femme fait un « bon film » pour l’ouverture). Vous l’aurez déjà constaté, il y a une autre chose qui ne change pas : le festivalier fait la fine bouche, alors qu’il s’apprête à prendre une overdose des meilleurs films de l’année en dix jours. Dur, dur.

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