Lana Del Rey, naissance d’une image

 

La blogosphère s’enflamme… Les déclarations d’amour se succèdent et se ressemblent, depuis des semaines il me semble qu’on ne parle que d’elle. Le buzz aurait-il raison, pour une fois ? « Lolita incendiaire » pour les uns, objet de crainte pour les autres, je décide enfin de me faire ma propre opinion. Et là…

Lana Del Rey dans le clip de Diet Mtn Dew

Histoire d’un coup de foudre (musical, mais peu importe…). Histoire de la naissance d’un personnage qui doit (tout ?) énormément au cinéma…

Lana Del Rey, donc.

Ou Lizzy Grant, apparemment selon l’état civil. Interprète, auteur et semblerait-il aussi réalisatrice de ses clips. Et c’est là que l’histoire devient étrange, mais hautement intéressante pour l’amateur d’images, pour le cinéphile mélomane qui est en quête d’absolu. Car si on considère l’œuvre de la demoiselle, il est indéniable que la matière théorique abonde, explose. Les références sont légion et le dosage est trop savant pour être pure coïncidence.

Qui est Lana Del Rey ?

Tentative d’un « portrait » en 5 clips.

Diet Mtn Dew


 
A première vue, rien de particulier. Bon, d’accord, la voix, superbe. Une chanson gentiment R’n’B, un tantinet FM, agréable somme toute. A l’image une photo, c’est tout. Elle regarde l’objectif coiffée d’une couronne de fleurs et arborant un T-shirt pop. Blonde. Lèvres refaites, ça saute aux yeux.
Oui, et alors ? 4’17. Une image vidéo, deux personnes sur une plage, en contre-jour, un coucher de soleil ? Quelques secondes et c’est fini. Les dernières notes de la chanson continuent, comme si de rien n’était.
Annonce d’un mystère, d’une suite ? Quelque chose se tramerait-il sous la façade trop lisse, trop parfaite (artificielle) de ce visage figé ?
Réponse avec le prochain clip.

Kinda Outta Luck


 
Explosion de références, d’extraits. Rita Hayworth, Marlène Dietrich, Jessica Rabbit, Betty Boop, Ray Liotta, Bugs Bunny, Daffy Duck, Tom & Jerry… Plus film noir, plus pop culture, plus femme fatale, tu meurs.

Et Lana Del Rey. Face caméra, le regard fixé sur son retour image, le plan YouTube par excellence. Je me regarde comment je suis sur Internet. Lana entre toutes ces icônes, Lana toute seule avec sa bouteille de Jim Bean. Avec sa moue (plus qu’artificielle, les lèvres souvenez-vous…), son regard de petite fille perdue dans un maelström d’images, sa joie de gamine et sa chanson. Plus pop que la précédente, plus prenante. Une évolution certaine, un style qui s’affirme. Le montage est bien dosé, le trouble s’installe pour de bon.

Forcément, elle est touchante parmi toutes ces légendes, ces images immortelles du septième art, comme une fan qui s’est incrustée via sa webcam pour faire la figurante, au moins une fois, par ses moyens, entre les modèles de sa vie… Et ce texte déroutant… (Serait-il question de meurtre ? D’un père se trouvant dans le coffre de la voiture ?). Espiègle, se jouant des codes de la femme fatale, Lana joue avec nos émotions, et semble postuler pour un poste de mème en CDD. Charmant…
 

Video Games


 
Comment décrit-elle sa musique déjà ? Gansta Nancy Sinatra. Hollywood Sad Core.
Toujours seule dans son cadre, Lana oscille entre tristesse et vagues sourires. Parfois, une fenêtre en arrière-fond. Starlette délaissée, son rêve de gloire brisé ? D’autres références apparaissent. Hollywood, leitmotiv lancinant, sirène cruelle pour jeunes filles naïves. Les néons – de Las Vegas ? Paradis artificiel / Enfer du jeu. Un jeune homme fait du skate-board, on pense à Jackass. Des images de jeunes filles sur une vespa, filmées en Super 8 ? Tout cela semble bizarrement homogène. Il y a une cohérence dans ses images qui est incarnée par la seule voix de Lana Del Rey. C’est un clip, me direz-vous, rien de plus normal. Sauf que, sauf que Paz de La Huerta. Filmée un soir par des paparazzis, saoule, titubante, star sexy et trash, vidéo sale de la téléréalité, sublimée par le chant, et cela devient comme une cérémonie. Video Games est peut-être une ode à la déchéance de l’image féminine, broyée et régurgitée par le système hollywoodien. Les lettres sur la colline, plus que jamais un phare, Charybde et Scylla en un seul lieu, sans cesse affamé, en quête de starlette à détruire.
Tiens, mais ça y est, je me rappelle où il me semble l’avoir vue…
 
Melissa George dans Mulholland Drive, de David Lynch
 

Blue Jeans


 
Bon, il s’agit de Melissa George dans Mulholland Drive… J’aurai appris quelque chose. Mais le référent ultime est là. L’univers de Lana Del Rey c’est le Hollywood labyrinthique et insondable de Mulholland Drive (n’y a-t-il pas une chanteuse nommée Rebekah Del Rio, dans le film ?). D’où l’émoi d’un cinéphile amoureux de Lynch.
Mais c’est aussi le Hollywood vu par Bret Easton Ellis dans son Imperial Bedrooms qui transparaît dans ces clips. Le personnage de Rain Turner, actrice ratée qui se prostitue en jouant de sa superficialité, de son corps. Obsédée par l’envie d’avoir un rôle, elle tente par tous les moyens de s’incruster dans les castings. Tentatives désespérées face à une machine froide, qui n’est pas dupe de son jeu.
Lana pose toujours, mais sort de chez elle. Dans une voiture, dehors, hyperconsciente de son image, la diva éclate au grand jour grâce à un titre dramatique, définitif. I will love you till the end of time, chante-t-elle, et ce refrain adressé à un ancien amant, à tous les internautes, la propulse dans un au-delà vertigineux.
Lana Del Rey (son nom d’artiste, rappelons-le) devient une image, totale et absolue. Se nourrissant des pulsions les plus noires et inconnues de l’univers lynchien, elle passe du statut d’anonyme à celui d’icône, en un plan.
2’56, les flammes dévorent l’écran. 2’57, elle est là. Parfaite, Über-artificielle, éternelle. Des lunettes de soleil au rouge à lèvres en passant par la jupe fleurie, les détails sont trop parfaitement arrangés. This is the girl, disait Adam Kesher en voyant Melissa George.
Il n’y a rien à ajouter.

Alors, what happened ?

Lana Del Rey, au début jeune fille paumée du Midwest qui veut jouer dans la cours des grands, via YouTube s’incruste parmi les stars. Vampirisant les étoiles de l’Americana hollywoodienne, elle devient image elle-même. Personnage de fiction à part entière. On dirait un personnage de Lynch (une des choristes qu’on aperçoit dans Mulholland Drive) qui déciderait de se nourrir de son environnement fictionnel pour crever l’écran. C’est le parcours de Betty dans Mulholland Drive.
Lana Del Rey ou le Remake du cinéma lynchien en cinq clips.

PS : Lana Del Rey peut-elle exister en dehors de la sphère d’Internet ? Une prestation scénique me paraît presque hérétique, cela ne pourrait être que décevant, il me semble. Son personnage peut-il être de chair et de sang ?

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