Les Small Stories de David Lynch s’exposent à la MEP

 

David Lynch, Small StoriesFaut-il apprécier l’œuvre de Lynch plasticien / photographe en ayant en tête ses films, faut-il les lier, créer des parallèles, ou faut-il rigoureusement séparer ces deux sphères de créations en les traitant comme des univers thématiquement apparentés mais foncièrement indépendants ?

Bon, j’admets qu’il y a des entrées en matière plus « sexy » pour parler d’une exposition photo. Mais la personnalité de David Lynch, son univers cinématographique, sont un terreau d’analyse si intrigant et fertile qu’il est dur de s’empêcher de théoriser dès qu’on est face aux créations d’un des artistes les plus intéressants de l’ère moderne. Et force est de constater que le Lynch cinéaste est plus « facile » d’approche que le plasticien. Une déclaration forcément subjective, n’étant point critique d’art, je n’oserais pas prétendre être une référence.

Mais il m’a toujours semblé que l’ambiance des films de Lynch tirait sa force de l’interaction entre temps, images et musique. Bref, ce qui définit le cinéma me direz-vous… Mais c’est justement le milieu dans lequel la plupart des spectateurs l’on découvert et qui a défini (à tort ou à raison) les contours de sa création. Après, on a découvert le photographe, le plasticien… Il y a eu notamment l’exposition à la Fondation Cartier en 1997, avec sculptures, installations et peintures. Personnellement, j’ai toujours plus de mal à me passionner pour les tableaux, n’y retrouvant pas la fulgurance visuelle de films tels Lost Highway ou le légendaire Mulholland Drive.

D’où cette idée, très théorique bien sûr, de considérer à part les créations lynchiennes. De ne pas chercher à retrouver son cinéma dans ses photos et vice versa. L’exposition Small Stories qui se déroule actuellement à la Maison européenne de la photographie (jusqu’au 16 mars 2014) est à cet égard assez intéressante. Conçue à l’initiative de l’institution parisienne, cette exposition se compose d’une quarantaine de photos, toutes en noir et blanc.

 
David Lynch, interior1“Les images fixes peuvent raconter des histoires. La plupart du temps, les images fixes racontent de petites histoires. Et il arrive parfois que les histoires intéressantes soient de petites histoires.
Les petites histoires se déroulent sur une période très courte. Cependant, la pensée et les émotions peuvent être impliquées quand on regarde une image fixe, et les petites histoires peuvent se développer jusqu’à devenir de grandes histoires. Tout ça dépend, bien sûr, du spectateur.
Il est quasiment impossible de ne pas voir une sorte d’histoire émerger d’une image fixe. Et ça, je trouve que c’est un phénomène magnifique.”

David Lynch

 
Cette présentation donne une bonne idée de la démarche de l’exposition : ce n’est pas une grande rétrospective de l’ensemble de son œuvre, mais une contribution modeste, une nouvelle en quelque sorte, si Lynch était écrivain…

Les photos présentées peuvent se regrouper en gros sous trois ensembles. Interior #, Head # et Window with…. J’ai été plus touché par la série Interior qui – ironie de celui qui s’impose une grille de lecture pour mieux l’ignorer – m’a rappelé des thèmes cinématographiques et même des ambiances à la Inland Empire ou Lost Highway.

Les photos sont pour le moins déconcertantes, avec un travail sur le grain (qui rappelle la vidéo) et le flou pour certaines et une préférence pour l’abstraction qui donne parfois l’impression que Lynch a pris en photo ses peintures.

David Lynch, Small Stories, interior11Interior #11 avec le dirigeable qui flotte seul au milieu d’une pièce, est un exemple assez figuratif mais assez exemplaire tout de même. Un objet dans le vide d’une pièce, une pénombre, des murs, un escalier qui pourrait mener vers la sortie ou vers une pièce où reposent de sombres secrets : il n’en faut pas plus pour faire tourner l’imaginaire et élaborer un scénario cauchemardesque et tortueux. Ou Interior #1, tout en perspectives impossibles, comprenant un personnage qui comme l’indique la bulle « explose » ?

Les petites histoires de Lynch sont comme une succession de fragments de rêves / cauchemars qu’il faut prendre comme tels : incomplets, imparfaits, partiels, ébauchés. Si la narration filmique permet de créer une ambiance sur la durée et, par le son, d’envoûter le spectateur, les photos ne reposent que sur cette inquiétante étrangeté que nous lui connaissons bien. Singulières, frappantes et parfois franchement difficiles à comprendre (la série Still Life où l’on voit des fragments de dessins ? de graffitis ?), elles constituent néanmoins une pièce de plus dans ce puzzle ô combien étrange qu’est l’univers mentale de David Lynch. Une exposition intéressante mais dont il ne faut pas attendre un choc révélateur comme le furent certains de des films auparavant.

Et soyons honnêtes : si on est parfois dur avec Lynch ces derniers temps, c’est que peu de gens (moi inclus) sont réceptifs à sa passion de la méditation transcendantale et que nous sommes tous en train de fantasmer sur un nouveau film, un nouveau choc, un autre labyrinthe…

Entre-temps, cette exposition est une belle rencontre avec l’imaginaire lynchien, un passe-temps qui ne calmera pas la faim mais étanchera un peu la soif.

Et puis, il y a de l’espoir tout de même : ici et . C’est déjà ça…

 
David Lynch – Small Stories, à la Maison européenne de la photographie, 5/7 rue de Fourcy, 75004 Paris. Du 15 janvier au 16 mars 2014.

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