Digital Blitzkrieg ?

 

Le téléchargement : une guerre éclair digitale ?D’abord, on aurait aimé parler de la disparition d’Etta James, revenir sur son interprétation féline de I Just Wanna Make Love to You – sorte d’équivalent féminin terriblement sensuel du I Put a Spell on You de Screamin’ Jay Hawkins… Seulement, entre-temps, on m’a dit qu’il fallait mettre la pédale douce sur le name dropping, et surtout, on a l’impression d’être plongé en ce moment dans un étrange film parano, d’espionnage ou de SF, avec cette espèce d’offensive anti-culturo-digitale lancée contre Megaupload, Allostreaming, Videobb & Co par le FBI. Et ouais, comme dans les séries télé. Plus triste encore (sauf peut-être pour ceux qui avaient raqué un abonnement Premium), l’excellent site la Caverne des Introuvables (1) vient de fermer « pour des raisons trop longues à expliquer ici ».

Bref (comme dirait l’autre), inutile de revenir sur les détails, des sites d’informations ont largement titré là-dessus le week-end dernier. Mais ce n’est pas fini. En riposte et pied de nez, le dimanche 22 janvier, les Anonymous – dont même Christophe Barbier parle désormais, et qu’il qualifie de « connards » – ont uploadé sur BitTorrent le catalogue musical de Sony, ainsi que la dernière décennie de leurs films. Cela fait plusieurs mois qu’ils menaçaient la major, pour son fervent soutien au projet de loi U.S. Stop Online Piracy Act (SOPA) (2), dont le vote au Sénat américain, initialement prévu ce mardi 24, vient tout juste d’être reporté. Ça fait penser à une partie de go.

A part ça, une vidéo (3) se voulant menaçante pour les géants d’Internet (Facebook, Twitter et autres), circule allègrement sur YouTube, mais, à première vue, sent bien le fake – d’autant que les réseaux sociaux pourraient plutôt être un moyen de communication directe. En tout cas, toujours dimanche 22, le site d’Hadopi était manifestement hors service. Ce qui, on ne s’en cache pas, nous a fait plutôt LOL.

Mais la question, en matière de culture, ce n’est pas tant de discuter de ce qui est légal ou non, que de ce qui est juste. Comme écrivait Godard – car, qu’on apprécie ses films ou pas, on ne peut nier l’intérêt de sa pensée pour la culture et la politique – à la toute fin de son Film Socialisme (4) : « Quand la loi n’est pas juste, la justice passe avant la loi. » Habilement, cette citation se superposait d’ailleurs à un message du FBI sur le copyright du film. Bref, justice n’est pas nécessairement synonyme de loi… surtout lorsqu’on parle de créations et de comptes bancaires.

Allez, accordons-nous un instant sur un parti pris humaniste tout bête : l’espérance d’une communauté passant par sa culture, la qualité de son éducation, l’ouverture du débat qu’elle permettrait entre ses membres. Aussi le savoir, la pensée, l’imaginaire n’auraient pas grand-chose à voir avec un bien marchand, n’est-ce pas ?, même se monnayant : la culture et la finance ne se jouant simplement pas sur le même plan. En tout cas, l’exception culturelle française se fonde sur cette idée, et c’est le propos d’une partie de l’article 27 de la Déclaration des droits de l’homme (5).

Or, le téléchargement peut constituer la géniale possibilité, pour chacun, de disposer d’une médiathèque de Babel, d’un répertoire de créations visuelles, sonores ou textuelles sur son ordinateur. En termes d’émancipation culturelle, c’est quand même la perspective la plus enthousiasmante des dernières décennies. Et à peu près la seule.

Evidemment, côté portefeuille, on répond sans originalité qu’il s’agit de permettre aux artistes de vivre de leur art. Argument grossier et éculé, quand on sait que d’autres mécanismes de financement existent (la licence globale par exemple), mais qu’on observe que les multinationales du divertissement préfèrent la manière forte. Le hic est là, non ? Megaupload, au fond, ce n’est donc pas le problème. D’autant que le site n’avait pas franchement de visée philanthropique, étant essentiellement une pompe à abonnements illimités.

En revanche, il y a quand même une certaine menace dans l’opacité de projets de loi comme le SOPA aux Etats-Unis, ou le Anti-Counterfeiting Trade Agreement (ACTA) débattu au Parlement européen (6), qui, sous couvert de respect du copyright, menacent tout simplement de contrôler ce qui s’échange sur Internet. Ou comment des puissances réactionnaires se raidissent devant un indéniable progrès technologique et culturel. Jetez un œil, c’est assez flippant. Et ça craint presque autant que la mort d’Etta James (7).

(1) lesintrouvables.blogspot.com – Le site n’existe plus.
(2) Le SOPA prévoit notamment la possibilité de réclamer des sanctions judiciaires contre des sites situés hors de la juridiction des Etats-Unis et soupçonnés d’enfreindre la législation sur le copyright ou de faciliter ce type d’infraction.
(3) Depuis, cette vidéo a été supprimée des plateformes de partage.
(4) http://www.youtube.com/watch?v=9YvrYhsqnuU
(5) Art. 27-1 : « Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent. »
(6) http://www.laquadrature.net/fr/acta-arrive-au-parlement
(7) Pour finir sur une bonne note :

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