Adapter Madame de Lafayette au cinéma

 

La Princesse de Montpensier Cette nuit, j’ai rêvé que Christophe Honoré adaptait La Princesse de Montpensier.

Le synopsis, parfois sibyllin, avait de quoi allécher : dans un lycée du 19e arrondissement, Maria de Mézières est forcée de se marier avec Kevin de Montpensier, malgré son amour pour Hun Ji de Guise. Après ses noces, elle a pour précepteur Jean-Claude de Chabannes, le prof de français qui lui apprend la lecture (elle est en première L). Dans sa classe, Abdel d’Anjou et Hun Ji de Guise lui tournent autour, au grand dam de Kevin de Montpensier, et sous le regard attendri du prof de Chabannes. La guerre entre la cité des Orgues et la ZUS Curial rappelle à leur destinée les protagonistes masculins. Au détour de certains cours, cependant, Abdel d’Anjou envoie des sms explicites à Maria (« hey pr1cesse, 1 ptite caress ? »), mais finit par se tromper de numéro et l’envoie à Kevin de Montpensier. Une idylle naît entre les deux nobles, sous l’œil torve de Jean-Claude de Chabannes (tout occupé à son agreg’ interne) et celui fatigué d’Hun Ji de Guise. Maria, ennuyée, finit par se déscolariser et joue désormais “Working Class Hero” sur la ligne 7, avec deux cordes cassées sur sa guitare.

Note pour moi-même : ne plus jamais dormir, ou alors espacer le visionnage d’Entre les murs de celui de La Belle Personne d’au moins 42 ans.

Mais si je convoque ici le réalisateur de Dans Paris, c’est plutôt pour parler de celui de Que la fête commence, Bertrand Tavernier, dont la filmographie sinueuse n’en finit pas d’étonner. Ce vénérable trotskyste lyonnais a livré l’année dernière un nouveau film en costume, adapté de Madame de Lafayette, La Princesse de Montpensier, avec une jeune distribution encadrée par le respectable Lambert Wilson.
Madame de Lafayette est en plein boum, en termes d’adaptation. On doit cette recrudescence à la vindicte du monarque actuel à l’endroit de La Princesse de Clèves. Le souverain avait déclaré l’inutilité de la présence de ce genre d’œuvre lors de concours, en 2007. Grâce à Christophe Honoré et Bertrand Tavernier, deux films adaptés de la romancière ont paru sous le règne de Nicolas 1er. Aussi remontent à nos yeux de sévères périodes de l’histoire de France, à l’époque d’Henri II pour Clèves, celle de Charles IX pour Montpensier. La première était l’âge de l’élégance, la seconde celle de la guerre civile. Deux contextes différents, mais les mêmes protagonistes : la noblesse du XVIe siècle.

Lafayette demeure une grande dame de la littérature française : son acuité vis-à-vis des mœurs de son temps, la rigueur de son interprétation psychologique et sa capacité à focaliser ses récits autour des femmes en font une incontournable d’un XVIIe siècle qui peut fasciner. Voir les Lettres d’une religieuse portugaise (mises en abîme en 2009 par le film d’Eugène Green), ou encore les romans épistolaires (plus tardifs) de Richardson comme autant de témoignages d’une époque où l’on abandonne les chevaliers comme vecteurs de sentiments au profit des femmes.

L’adaptation de Tavernier a de quoi séduire : brodant autour du court récit originel, lui et son scénariste Jean Cosmos ont œuvré à la bonne compréhension de l’époque. Un temps où « l’on bouffait du huguenot/papiste » au petit déjeuner, et où l’on vendait les meufs par des mariages où entraient en considération la noble gorge de la fiancée autant que le nombre de chevaux à valoir dans la dot. Un temps difficile à dépeindre autrement que par la méthode de la transcription, la capacité du dialogue à s’imprégner de la langue ancienne et celle des interprètes à se montrer au-delà de leur corps et devenir des personnages-fonction, au bon sens du terme (donc des personnages-titre de noblesse).
La méthode est systématisée, à tel point que les réserves émises par certains critiques peuvent être légitimées par le classicisme de l’emphase déployée ou des passions décrites. Mais l’académisme de Tavernier ne suscite pas l’ennui, et fait honneur à sa méthode frontale. Car les adaptations précédentes de Lafayette, sur La Princesse de Clèves, ont toutes en commun de biaiser plutôt que de traiter.

Bien sûr, il y a l’adaptation canonique, du trio Delannoy-Aurenche-Bost, représentative de la qualité française. Comme d’habitude dans ce courant tant renié par la Nouvelle Vague, le métrage est clinquant, les acteurs jamais loin du théâtre, et l’on renonce à la profondeur au profit d’une efficacité incontestable. Et puis il y a ces trois variations sur le même thème, que l’on oserait qualifier de moderne, où l’on veut transcrire l’esprit de Lafayette plutôt que son intrigue : La Lettre d’Oliveira, La Fidélité de Zulawski, La Belle Personne d’Honoré. Trilogie située à notre époque, et dont les parties se veulent toutes fidèles à la psychologie du roman. Si Oliveira se permet le name-dropping (Nemours est remplacé par un chanteur réel, Pedro Abrunhosa), Zulawski pose sur la longueur en remplaçant la noblesse initialement décortiquée par le milieu de la presse à scandale. Si le premier respecte le jansénisme souvent invoqué à la lecture du roman, le deuxième se complaît dans l’exacerbation des passions. Quant à Honoré, il tressaute par une vision très collective du roman, où les éléments qui gravitent (Nemours et Clèves) sont aussi importants que le noyau féminin. Le réalisateur des Chansons d’amour trouve dans la désuétude du 16e arrondissement et de ses lycéens imaginaires une façon de redonner un souffle de vie à une noblesse qui n’existe plus, mais c’est au niveau de la croyance que le bât blesse, puisque tous les protagonistes sont trop glacés pour notre ère.
Serait-ce que la vérité se loge, pour une adaptation, dans un témoignage d’époque plutôt que dans une transcription forcément infidèle ? Ou est-ce qu’il faut pousser beaucoup plus loin l’infidélité ? Cette dernière question étant celle que se posent sans cesse les héroïnes de Madame de Lafayette, on serait en droit d’y souscrire…