Jean Rollin, souvenirs égarés…

 

Le Viol du vampire, de Jean RollinPourtant, je l’avais vu et revu… Rien de plus normal quand on réalise un film sur un réalisateur : on regarde encore et encore ses films. Mais lorsque je suis tombé dessus, par accident, une nuit sur Ciné… Fx, Frisson… Action ? C’était comme la première fois. Ce n’est que plus tard que j’ai réalisé que c’était effectivement la première fois depuis…

2005. Jean Rollin nous reçoit chez lui. Un hasard de circonstances m’a permis d’avoir son numéro et les apprentis cinéastes, fans de fantastique que nous sommes (j’écris et réalise avec un ami, Damien Dupont) tentent le coup : rencontrer un cinéaste pour lui demander des conseils.
Jean Rollin nous ouvre sa porte et raconte son parcours, des anecdotes de ses films. Que savais-je de lui exactement ? A part sa réputation de roi du Z, Le « Ed Wood » français, pas grand-chose. Je me rends même compte que je ne me rappelle que vaguement de ses films. Et pourtant, en sortant de cette longue discussion, l’envie de lui consacrer un documentaire s’impose comme une évidence. Un réalisateur de films de vampires, de films pornos, de films étranges traçant son chemin depuis 1968 et personne n’en parlait ? Cela semblait incroyable.

Ensuite, il y a ce conseil de sa part : « Tournez. Tournez n’importe quoi, mais tournez. » Sur le coup, ces mots me semblent presque banals. Mais en me replongeant dans sa carrière, ils prennent une autre ampleur. Il y a alors comme une évidence à filmer cet homme, une envie presque scientifique de témoigner de son parcours. Ça serait quand même une honte dans ce pays cinéphile, se vantant d’aimer le cinéma, qu’on ne rende pas hommage à un cinéaste accompli qui a littéralement consacré sa vie à son art. Il y a de quoi inspirer des légions de jeunes cinéastes, et pourtant personne n’en parle…

Première relecture de ses films. Le Viol du vampire, délire dadaïste, œuvre barje, complètement allumée et surtout belle… belle à en tomber par terre. Suivent les autres : le psychédélisme du Frisson des vampires, l’étrangeté très Franju de La Vampire nue, le pari muet du Requiem pour un vampire… La poésie macabre à son apogée dans La Rose de fer… Plongée dans un univers fait de poésie, de bric et de broc, parce que pas de moyens – mais où chaque plan est issu d’un imaginaire personnel, où l’on ressent avant tout une urgence, un besoin vital d’évoquer ces personnages, ces images-là (je pense bien sûr à la plage de Pourville, leitmotiv de l’œuvre de Rollin, surface de projection la plus naturelle de ses obsessions).

Jean Rollin nous a reçus, souvent. Chez lui, sur son dernier tournage (Le Masque de la méduse, 2010), il s’est prêté au jeu de l’interview, du réalisateur filmé en pleine action. Mais nous n’aurons pas eu la chance de lui renvoyer la balle. Il décède le 15 décembre 2010 alors que le documentaire est encore en montage.

Jean Rollin in Jean Rollin, le rêveur égaréIl parlait de son avant-dernier film comme de son film testament. Et de fait, à l’époque de sa projection, en 2006, La Nuit des horloges avait tout d’une œuvre « somme », d’un film parfait pour finir une étonnante carrière en beauté. Un film où « tout le monde est mort » comme me le disait un de ses grands amis à la sortie de la salle, avec une urgence dans la voix que j’entends encore distinctement et qui m’a serré le cœur sans que je comprenne vraiment pourquoi.

La Nuit des horloges suit le parcours d’Isabelle, la nièce de l’écrivain-réalisateur Michel Jean. A la mort de son oncle elle hérite de ses biens et elle est entraînée dans l’univers de l’artiste, à la rencontre des fantômes du passé, des fantômes de la création, bref, elle fait connaissance avec les personnages de Michel Jean. Ce Michel Jean c’est évidemment Jean Rollin (qui a tourné sous divers pseudos « Michel Gentil » par exemple, surtout pour des films pornos). Isabelle, jouée par Ovidie, croise ainsi le chemin d’acteurs de Rollin, et le montage insère des films passés, de manière absolument naturelle, organique même. Au fur et à mesure qu’elle s’enfonce dans les méandres du créateur, elle perd la raison.

Mais ce n’est pas un film “fou”, comme pouvait l’être son premier film. C’est un film apaisé, étrange encore une fois, certes. Il s’agit avant tout d’un film « hanté » : hanté par la mort, par le passé, par le regard de Rollin, jamais nostalgique, mais baigné de cette poésie qui donne à son œuvre une douce amertume si particulière. J’étais très impressionné par le film et sa capacité à revisiter une carrière et à la « clore ».

Il y a quelques semaines, je retombe donc sur La Nuit des horloges. Bien que je reconnaisse immédiatement le film, j’ai l’étrange sentiment que quelque chose a changé. L’image même me semble altérée, la tonalité est plus grave encore, l’ambiance est… celle d’un tombeau.

Il y a une vraie douleur à voir ce film désormais, la tristesse qui s’en dégage, c’est la mienne, mais aussi celle d’un artiste qui de son vivant a créé son au-delà. Un homme qui a donné chair à sa vision. Ses personnages trouvent là en cette nuit, une destination, enfin… L’errance, qui fait partie de l’univers rollinien au même titre que l’érotisme, semble trouver ici un aboutissement. Une terre d’accueil que cherchaient peut-être tous ces personnages.

Image du film Jean Rollin, le rêveur égaréJean Rollin est mort. Il hante ce film comme rarement un cinéaste a habité son œuvre. Je ne verrai plus jamais La Nuit des horloges comme je l’ai vu la première fois. Mais la peine que je ressens est indissociable de la beauté qui s’en dégage. Et pourtant je ne puis m’empêcher de me demander si tous ceux qui n’ont pas connu Jean Rollin ressentiront ce même désarroi, cette même douleur.

Avec ce film Jean Rollin met en scène l’éternel point d’interrogation que représente la mort. Il n’est pas le premier et certainement pas le dernier. Mais il est un des rares à avoir poussé l’exploration de ce continent inconnu jusque-là.

 
Avec Damien Dupont, Yvan Pierre-Kaiser est le réalisateur du documentaire Jean Rollin, le rêveur égaré, réalisé en 2011 et présenté en avant-première à la dix-septième édition de l’Etrange Festival.
Rendez-vous sur le site officiel du film : www.purplemilk-prod.com/rollin

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