Rencontre avec Antonin Peretjatko et Vimala Pons

 

antonin-peretjatkoAprès avoir réalisé plusieurs courts-métrages (Changement de trottoir, French Kiss, L’Opération de la dernière chance, Paris Monopole et Les Secrets de l’invisible), Antonin Peretjatko a présenté son premier long-métrage La fille du 14 juillet à la 45e Quinzaine des réalisateurs cette année à Cannes. Rencontre avec un réalisateur qui détourne la réalité et avec l’héroïne du film, Vimala Pons.

 
Pourquoi la date du 14 juillet ?

C’est un symbole. Le film a deux degrés de lecture. Il s’intitule La Fille du 14 juillet parce que cette date est propice aux rencontres, au bal du 14 juillet par exemple. C’est aussi parce que mon héroïne est un peu la fille de la révolution.

Pourquoi avoir opté pour une entrée en matière si gaguesque ?

Vous voulez parler du côté Grand-Guignol ? L’idée d’accélérer la cadence, de filmer un événement que tout le monde connaît mais d’une manière non réaliste permet ici de désacraliser la fonction présidentielle. C’est pareil pour le défilé militaire, qui est lui aussi désacralisé. C’est une sorte de gay-pride des militaires, on a des chars, les gens sont dessus et ils sont bien habillés pour défiler. C’est bon esprit. Et puis, au début du film, les protocoles utilisés sont les mêmes – il n’y a que le président qui change. Pour moi ça montre que finalement la France est là. On prétend changer, mais finalement rien ne change. Chaque gag dans le film signifie quelque chose. Lorsqu’ils veulent ouvrir la porte et que c’est un labyrinthe, pour moi ça résume le film. Le parcours des jeunes gens est assez labyrinthique. On y retrouve une France complètement paranoïaque. A chaque année sa psychose. Alors un coup c’est la grippe aviaire ou les attentats, après c’est celle du concombre qui fait mourir. Je suis curieux de voir la prochaine monomanie.

Pour vous le cinéma doit-il être politiquement engagé ?

La-fille-du-14-juillet-vimala-ponsOui, mais après ça peut être engagé de manière sentimentale, ou sur la vie. En général, quand je ne vois pas la finalité d’un film, je n’y trouve pas d’intérêt. Par exemple les grosses comédies, comme celles de TF1 avec des vedettes à 10 millions, on pense que ce n’est pas engagé, mais ce sont des films réactionnaires.

Votre film évoque aussi une certaine violence…

J’évoque la violence de manière non réaliste, pourtant elle fait partie de la réalité. La violence poursuit les protagonistes du film où qu’ils aillent. Mais il y en a tellement qu’ils ne la perçoivent plus. Ils voient des gens se faire tuer dans Paris et ils s’en fichent. Les faits divers ne s’arrêtent plus. Dans la vraie vie, un gars en tue un autre à coup de machette dans le centre de Londres, un homme se suicide dans une école. La violence est là.

L’amour serait-il un remède à cela ?

Truquette et Hector se retrouvent dans les rêves et à la fin. C’est la recherche d’un idéal. On court après un horizon. J’aime montrer la mer dans mes films, c’est pour ça que l’histoire se termine sur un bateau, ils s’en vont avec la mer, vers l’horizon, vers la vie, tout ça avec le poème de Prévert.

Peu de repères temporels dans votre film, si ce n’est peut-être les vignettes de voiture… un choix délibéré ?

Dès le départ j’ai exposé les deux présidents, je ne voulais pas qu’il y ait de période précise, comme 2007-2012. On a choisi d’utiliser une vieille voiture. C’est ça qui est intéressant avec les Mercedes, ce sont des véhicules qui durent très longtemps, qui traversent toutes les classes sociales. Les voitures des années 1980 sont beaucoup plus jolies que les infâmes pots de yaourt qui sortent actuellement. Absolument pas esthétiques. On prend une Renault ou une voiture japonaise, ce sont toutes les mêmes, zéro imagination… Si on veut montrer une époque, on montre une voiture.

Vimala, qu’est-ce que vous avez aimé dans cette aventure ?

la-fille-du-14-juillet-vincent-macaigneJ’ai d’abord été accrochée par la première phrase qu’Antonin m’a dite en me donnant le scénario : « Tiens, par contre je te demande juste une chose, tu ne lis pas le scénario avant de voir mes autres films, tu ne vas pas comprendre, sinon. » C’est vrai que si je n’avais pas regardé ses précédentes réalisations, je n’aurais pas compris l’esprit de l’histoire. Ce n’est pas « passe-moi le sel » mais c’est vraiment déréalisé pour atteindre une forme de réalité. J’adore la rupture, tout ce qui est de l’ordre du vivant. Je suis vraiment amoureuse du cinéma, une vraie cinéphile. Je n’ai pas beaucoup d’expérience mais le fait qu’Antonin soit chef-opérateur change beaucoup de choses. Il a un vrai point de vue, une envie de faire du cinéma. En tant qu’acteur, ça apporte énormément. Antonin fait dans l’artisanat, son travail est sculpté. Il retravaille sans cesse le son, ce n’est jamais linéaire.

Antonin : Oui, quand j’écris un scénario je mets des images pour que ça soit plus compréhensible, plus visuel. Je pense que sans celles-ci on ne comprendrait pas l’aspect « comédie ». Par exemple, la littérature burlesque est très peu connue. Il y a très peu des livres où l’on éclate de rire. Pour les scénarios c’est la même chose, c’est très délicat de rendre l’écrit comique. Voilà pourquoi je leur dis de regarder d’abord mes précédents courts-métrages et ensuite ils comprendront comment je visualise les choses. D’ailleurs, les financements misent beaucoup sur le scénario, voilà pourquoi les comédies reposent essentiellement sur les dialogues, car en les lisant c’est drôle.

Comment abordez-vous la notion de suspense dans vos films ?

Au risque de décevoir beaucoup de gens, il n’y a pas de suspense dans mes films… C’est comme dans L’Odyssée, on sait qu’Ulysse va terminer avec Pénélope, il n’y a pas de suspense, ce sont toutes les rencontres qui sont importantes. C’est un film de parenthèses, de ponctuations ; avec des points de suspension, des virgules et des points d’interrogation. C’est donc plus difficile à écrire.

Et en parlant de point de suspension, le film a été tourné en deux étés et un hiver, comment se gère un tournage étalé, le scénario a-t-il été aménagé ?

Antonin : La difficulté, c’est de bloquer les dates pour les comédiens, car du côté de l’équipe technique on peut toujours s’en sortir. En revanche, le scénario n’a pas vraiment changé. Seule la neige a été rajoutée. Cette séquence permet à Truquette et Hector de se retrouver dans les souvenirs, dans les fantasmes d’un livre de Tchekhov. C’est plutôt du côté des acteurs que j’ai eu peur. Macaigne et Thomas ont beaucoup maigri. Mais j’avais surtout très peur qu’ils perdent tous leurs cheveux.
Vimala : Antonin espérait surtout que j’aie des plus gros seins. Mais ce n’est pas arrivé.
Antonin : Oui, enfin j’espérais surtout que Vimala ne change pas d’avis, car c’est sa spécialité !
Vimala : Comme Antonin le dit, il n’y a que les cons qui ne changent pas d’avis.

Godard, Rozier, Tati… Vos influences ?

la-fille-du-14-juilletAntonin : Je m’appuie sur des films comme Othello d’Orson Wells, qu’il a tourné en plusieurs années. Il y a un plan que je trouve fantastique, qui est réalisé au montage. Il filme une scène sur l’île de Malte, et un contrechamp en Espagne mais on ne le remarque pas. Le tournage, ce n’est pas le temps de la pensée, mais celle des idées. On dit que le film est débraillé mais en fait, c’est tricoté. Et si on rate une maille du tricot, il est foutu. Pour moi l’improvisation ne s’improvise pas, ça se prépare, la veille par exemple. Les idées sont les bruits de la pensée.
Vimala : Moi, j’aime bien Godard et j’adore Chris Marker. D’ailleurs je pense que si Godard voyait notre film, il l’aimerait.
Antonin : Ah non, moi je n’en suis pas si sûr…

 
Vimala Pons est à l’affiche de La Fille du 14 juillet d’Antonin Peretjatko, avec aussi Grégoire Tachnakian, Vincent Macaigne… France, 2013. Présenté à la 45e Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes. Sortie le 5 juin 2013.

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