Wrong, de Quentin Dupieux

 

Wrong, de Quentin DupieuxA l’instar de Dolph, héros de Wrong et peintre à ses heures, Quentin Dupieux joue sur plusieurs tableaux. On a pu voir en ligne ou à Cannes (pour les moins casaniers) Wrong Cops, premier aperçu d’une série de courts-métrages de l’homme qu’on appelait Mr. Oizo, avec Marilyn Manson, et on peut dès aujourd’hui voir en salle Wrong, un long-métrage qui n’a rien à voir avec Wrong Cops, mais également œuvre signée Dupieux. Et le cinéaste de déclarer qu’il est « plutôt fainéant concernant les titres ». Plutôt, oui.

Les lecteurs de Grand Écart ayant survécu aux salmigondis du paragraphe précédent (on vous voit, on a votre IP) pourront se délecter en salle du nouveau spectacle cinématographique offert par l’auteur de Rubber et de Steak. Ils se rassasieront du décalage permanent entre ce que vivent les personnages, jetés en pâture à ce vélociraptor affamé qu’est l’Absurde, et leur manière de réagir, hiératique dans le cas du héros Dolph, flegmatique pour Ronnie le détective, ou mystique dans la bouche de Master Chang, méchant zoophile (au sens premier du terme).

Dolph, chômeur qui se rend toujours à son travail, ne trouve plus son chien, Paul. Il est contacté par Master Chang, un obscur gourou qui enlève les animaux de compagnie pour mieux faire prendre conscience à leurs maîtres de la place de la bête dans leur vie. Ronnie est chargé par Dolph de retrouver Paul. Le détective pousse les techniques d’investigation très loin, mélangeant Déjà vu (R.I.P. Tony), Les Experts et déjection canine. Voilà pour situer mieux ce drôle de métrage, qui se déliterait si l’on en donnait tous les ressorts.
On préférera rappeler les tenants et aboutissants éventuels du nonsense au cinéma. Dans certains cas, l’absurdité ne provoque aucune émotion, si ce n’est une mise en lien de mécanismes inconscients (la peur, le sentiment de malaise, d’étrangeté, comme ici), sur laquelle le spectateur calque ses propres obsessions, dans le meilleur des cas. Dans le pire, il demeure imperméable et se dit qu’il y a quand même de chouettes effets spéciaux dans Transformers III.

Une autre manière d’utiliser l’absurdité est de pousser l’incohérence jusqu’au bout, en racontant, dans un univers tout à fait rationnel a priori, l’histoire d’un pneu serial-killer (Rubber), d’un homme qui a perdu son chien et de son jardinier qui rêve (Wrong) ou toute autre situation impossible avec un pied dans le réel (les Monty Python, principalement dans les sketchs du Flying Circus). A ce compte-là, le décalage crée l’émotion la plus difficile à obtenir, soit le rire, sans perdre une minute son esprit de sérieux.

Et pour que l’alliage prenne, le creuset doit contenir de solides minerais ; l’absurde à chaud se refroidit au contact d’une mise en scène clinique et l’on doit noter que la science acquise par Dupieux dans l’utilisation du numérique (Rubber avait été tourné avec un Canon 5D, Wrong avec un prototype reprenant son principe) ainsi que son sens de l’à-propos filmique (les cadrages, dans des plans souvent inertes, révèlent de subtils détails sans les accentuer, tel ce globe terrestre à l’envers apparaissant çà et là) amènent une ambiance qui détonne parfaitement avec l’histoire. Et c’est aux acteurs que l’on doit la touche finale de cette pièce divinement usinée, avec un Jack Plotnick qui nous ressemble tant quand on voudrait surtout éviter d’avoir sa vie, un William Fichtner vraiment flippant et un Eric Judor vraiment loin, c’est-à-dire de l’autre côté de l’Atlantique. Quentin Dupieux a réussi à revenir aux humains après avoir confié le premier rôle de son film précédent à un pneu ; c’est bien la marque d’un génie.

Wrong de Quentin Dupieux, avec Jack Plotnick, Eric Judor, William Fichtner et Alexis Dziena. France, 2011. Sortie le 5 septembre 2012.