Welcome in Vienna, une trilogie d’Axel Corti

 

Santa FeIl est des temps dans une vie de modeste cinéphage à marquer d’une pierre blanche. Les fameux temps à soi. Le fameux matin cannois où Paris, Texas joue sa partition magique. J’y étais. C’était en 1984. Le fameux soir où Brazil m’explose le cerveau. C’était en 1985. Le fameux après-midi d’un faune où Twin Peaks me fait prendre ma vessie pour une lanterne. C’était en 1992.
Février 2013, je découvre Welcome in Vienna, trilogie sur l’exil de juifs viennois pendant la Seconde Guerre mondiale. Deux mois plus tard, je digère encore l’expérience.
Avant d’engloutir les six heures de bobine, je me prépare comme pour assurer sans encombre les 42 kilomètres d’un marathon. Les a priori se bousculent dans ma petite tête, toujours les mêmes quand il s’agit des malheurs du monde car je supporte mal en vieux rabat-joie que je suis les névroses collectives qui tournent aux leçons de morale. Mais rien de tout cela. Welcome in Vienna universalise son propos et réussit le pari de construire une œuvre humaniste qui fonctionne à l’aide d’allusions d’une incroyable justesse.
Marchez les petites gens. Marchez les intellectuels. Ensemble sur les routes. L’exode d’éternels errants. Troller donne vie à ces héros du quotidien. Extraordinaires anonymes qui, tantôt drôles, tantôt désespérés, foulent leur propre tragédie.
Welcome in Vienna sidère par son hallucinante authenticité. Cette justesse lui confère une absolue utilité pédagogique. Une leçon de mise en scène, une leçon de cinéma, une leçon d’histoire.
Georg Stefan Troller, célèbre journaliste de la télévision allemande, habite en France depuis des années. Les spectateurs allemands le croient français, il se fait passer pour alsacien. C’est au début des années 1980 en compagnie d’Axel Corti qu’il replonge dans son passé de juif autrichien. Dieu ne croit plus en nous est né. Souvenirs.
 

1re partie
Dieu ne croit plus en nous

Dieu ne croit plus en nousLa Nuit de cristal. Un adolescent, Ferry Tobler, caché au sous-sol de son immeuble, assiste à l’arrestation des habitants du quartier, aux premières persécutions contre les juifs. Au-dessus, son père est déjà mort, tué dans son lit. Ferry prend la fuite en compagnie d’un couple. Ils traversent l’Europe avec la peur au ventre. A Paris, ils sont arrêtés par les autorités françaises puis envoyés dans le camp de Saint-Just-en-Chaussée. La débâcle qui suit l’arrivée des Allemands leur ouvre une porte de sortie jusqu’à Marseille. La terre promise, c’est l’Amérique.
Le spectateur peut facilement s’identifier aux destins individuels. Ces femmes et ces hommes, nous les reconnaissons parce que les auteurs nous invitent à lire en eux. De ville en ville, de campagne en campagne, de camp en camp, l’interminable périple déshumanise autant qu’il rend humain. Alors, à notre tour, nous les accueillons en notre sein.
 

2e partie
Santa Fe

Welcome in Vienna - Santa Fe1940. Port de New York. Ferry se noie en tentant de sauver une femme qui s’est jetée à l’eau.
Le quai grouille de monde. Avant de retrouver la liberté, les arrivants doivent prendre leur mal en patience. Franchir un contrôle tient du parcours du combattant. Il faut encore réussir les tests psychologiques puis éviter la quarantaine. Les autorités américaines méfiantes réservent un accueil glacial à ces malheureux.
Freddy Wolff intègre une communauté d’émigrés qui n’a rien d’autre à partager qu’un peu de misère. Chaque jour, la même rengaine se répète. Courir la ville. Espérer se remplir le ventre. Au cœur de New York, Freddy n’est plus le juif de service, il est devenu le sale immigré. Pire, on l’assimile à l’ennemi allemand au moment où l’Amérique rentre en guerre. Freddy décide de s’engager dans l’armée pour combattre le nazisme. Retour au pays, en soldat.
 

3e partie
Welcome in Vienna

Welcome in Vienna, d'Axel Corti1944. Freddy est à Vienne. Une Vienne en ruines, divisée en quatre zones, meurtrie par les combats et les opportunistes qui pillent et profitent. Welcome in Vienna raconte la confusion générale après l’apocalypse et, plus qu’aucun autre film ne l’a jamais fait auparavant, réalise un véritable diagnostic de territoire. Freddy redécouvre sa ville natale à travers une nouvelle galerie de personnages et les milieux qui la composent.
L’étude du contexte, et plus spécifiquement l’analyse sociologique du milieu théâtral, révèle une hypocrisie générale où les nombreuses concessions morales pendant l’Occupation ont servi d’écran de fumée aux vieux profiteurs comme ils servent désormais aux nouveaux arrivistes. On s’arrange entre amis. On se pardonne. On relativise. La vie a repris son cours et la mémoire est soluble dans l’eau.
Entre rancœurs et déceptions, quelques exilés choisissent de repartir aux Etats-Unis. Freddy traverse une nouvelle tragédie.
Ce dernier épisode n’a pas reçu un accueil des plus enthousiastes à sa sortie en Autriche. Anciens nazis ou jeunes gauchistes, chacun en prend pour son grade.

Six heures d’un superbe noir et blanc. Une œuvre ambitieuse qui respire l’authenticité. Tragique et drôle. Sidérante parce que réaliste et poétique. J’y pense encore, et souvent.

 
Welcome in Vienna d’Axel Corti, avec Johannes Silberschneider, Barbara Petritsch, Armin Mueller-Stahl, Gabriel Barylli, Doris Buchrucker, Peter Lühr, Nicolas Brieger, Claudia Messner. Disponible aux Editions Montparnasse.

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