Weekend of a Champion, de Frank Simon

 

Pourvu qu’il ne pleuve pas

Weekend of a Champion, de Frank SimonTrois jours au cœur d’un Grand Prix de formule 1 avec le pilote Jackie Stewart au sommet de sa gloire : le 18 décembre, Pathé ressort Weekend of a Champion, un splendide documentaire de Frank Simon et Roman Polanski très peu diffusé depuis sa sortie en 1972. Le film a fait partie de la sélection officielle du Festival de Cannes en 2013.

Tour d’essai. Caméra embarquée au-dessus du pilote, on avale avec lui le bitume de Monte-Carlo à 150 à l’heure sous la pluie. L’eau gicle, l’image tremble et la buée brouille les détails, les virages s’enchaînent en accéléré, droite, gauche, épingle, le moteur vrombit ; puis le noir soudain du tunnel, et enfin la ligne droite vers l’arrivée, prise à 250 dans ce flou total, où les pieds quittent le sol et l’estomac nous plane entre les côtes.

Grand Prix de Monaco, 1971, remporté sur Tyrell-Ford par le pilote Jackie Stewart, qui a décroché deux ans plus tôt son premier titre de champion du monde. Le réalisateur Roman Polanski, ami du conducteur, confie la caméra à Frank Simon pour devenir l’ombre et le disciple du pilote écossais des premiers essais à la ligne d’arrivée, en nous plongeant avec naturel et curiosité dans l’univers cru et coloré de la formule 1 des années 1970.

Ne vous fiez pas au clinquant de la bande-annonce : pas la peine d’être fou de sports automobiles ni d’avoir lu Michel Vaillant toute son enfance pour apprécier le résultat. La caméra se promène dans un univers riche en anecdotes humaines comme en détails mécaniques, rendant de belles images aux tons passés qui sentent bon leur époque. Les vis rutilent, les mécanos plaisantent, les premières caméras embarquées de l’histoire de la F1 foncent sur le bitume, le couple princier observe depuis sa loge, et la foule en pattes d’éph se perche sur les palmiers, dans une ambiance de kermesse, sans craindre de laisser traîner un pied sur la piste où tournent les bolides.
Les yeux myosotis de la douce Mme Stewart se voilent d’inquiétude à mesure que le ciel se voile de nuages.
Et surtout, casque à la main et combinaison blanche marquée Goodyear sur le dos, Jackie Stewart se laisse tranquillement suivre, du confort de son hôtel à la folie des bains de foule, de la concentration des paddocks au cœur rugissant du circuit, partageant avec nous son sourire à fossettes, mais aussi ses tensions et sa science du pilotage dans les virages étroits de Monte-Carlo.

« Le freinage est très important, explique-t-il en observant les formule 3 faire leurs essais. Si l’équilibre des freins n’est pas au point, t’es dans la merde. L’équilibre avant/arrière. Les roues avant doivent presque bloquer avant les roues arrière. Les roues avant, tu peux les voir. Si les roues arrière se bloquent tu pars dans le virage, mais quand les freins avant se bloquent, au moins tu vois la fumée qui en sort sous les pneus. » Ainsi décortiquée simplement, d’explications sur circuit en métaphores au petit déjeuner, la voiture devient sous nos yeux une créature unique, vivante et respirante, que le pilote doit constamment maintenir tout juste sur le fil, quelles que soient les conditions de poids et de climat, pour ne pas la laisser filer vers l’extrême et le décor.

De cette richesse de matériel, Polanski et Simon tirent un documentaire structuré comme une histoire, un récit illuminé par la bonhommie de Jackie Stewart et assombri par l’évocation des nombreux pilotes morts en course au cours de la décennie. Stewart lui-même a été victime d’un accident huit jours auparavant. « [Parfois en course], tu te rends compte du monde froid, dur, horrible où tu vis, et tu as hâte que l’anesthésiant de la course fasse à nouveau effet. » Et connaître la fin n’empêche pas de se tendre, à quelques tours de l’arrivée, alors que les longs doigts d’Helen Stewart se crispent autour de son chronomètre, parce que le tonnerre vient de gronder deux fois.

 
Weekend of a Champion de Frank Simon, avec Jackie Stewart, Helen Stewart, Roman Polanski… Angleterre, 1971. Sortie le 18 décembre 2013.