Le Tournoi, d’Elodie Namer

 

Leçon d’échec

Le Tournoi,d'Elodie NamerLe monde se divise en deux catégories : ceux qui jouent aux échecs sans trop se poser de questions et ceux qui élaborent des tactiques avec trois tours d’avance.
Bien loin de l’innocence des parties dominicales avec les grands-parents, le milieu professionnel des échecs est un cercle très fermé où la compétition est omniprésente. Une immersion d’un an a été nécessaire à Elodie Namer pour s’imprégner des particularités et de l’ambiance de ce microcosme social. Résultat de cette observation anthropologique : Le Tournoi, premier long-métrage de la réalisatrice.

Pion en F4 : un pitch innocent

On atterrit en Hongrie, lors du Grand Open international d’échecs de Budapest. Cal, champion de France de la discipline est l’un des favoris du tournoi. Telle une machine, il exécute les combinaisons apprises et répétées avec son entraîneur, un homme froid aux méthodes strictes, tout droit sorti de l’ex-RDA. Défis et paris stupides rythment la vie du jeune homme et de ses coéquipiers.
La compétition progresse et Max, un petit garçon de 11 ans, survole tous ses adversaires. L’enfant qui semble imbattable fait surgir chez Cal des sentiments auxquels il n’a jamais été confronté et la machine à gagner s’enraye peu à peu pour laisser place à l’humain.

Pion adverse en E6 : une mise en scène pertinente

A la lecture du pitch, on ne peut qu’espérer que la réalisatrice n’ait pas tout misé sur la trame de fond qui reste très pauvre. Elodie Namer compense ce manque d’originalité par un film axé sur la psychologie de Cal et qui alterne entre la première et la troisième personne. Cadrage, lumière, musique… Tout est fait pour que le spectateur ressente le mal-être du jeune homme. La symbolique entre l’hôtel et son esprit est constante. Tout comme l’adolescent emprisonné par sa logique, le spectateur se sent oppressé par cet hôtel aux couloirs interminables et dénués de lumière naturelle. On se surprend à prendre une grande bouffée d’air lorsque Cal sort du bâtiment pour la première fois du film et ainsi, se libère de ses chaînes mentales.
Si l’implication du spectateur est une réussite, il en est de même pour l’authenticité du sujet. On ne peut qu’applaudir le travail de documentation effectué autour du monde des échecs. Conseillée par Fabien Libiszewski, joueur d’échecs professionnel qui interprète le rôle d’Aurélien dans le film, Elodie Namer a su restituer avec fidélité l’ambiance et les codes d’un monde qui reste très secret. Le spectateur comprend les principes et tactiques essentiels du jeu mais reste en surface de cet univers très fermé et dont l’entraînement est maître-mot. La réalisatrice a choisi de filmer l’ambiance plus que la partie, et on ne peut que la remercier : on se sent impliqué et cela rajoute au dynamisme du film.

Pion en G4 : des acteurs au naturel

A l’exception de Lou de Laâge qu’on a déjà pu voir à l’affiche de plusieurs longs-métrages, le reste du casting se compose principalement d’acteurs jeunes et méconnus.
Loin du cliché geek que l’on pourrait avoir du champion d’échecs, Michelangelo Passaniti renvoie plus au mauvais garçon avec son allure de boxeur – qu’il est en réalité. Le jeune homme interprète un rôle où on ne l’attendait pas et le résultat est loin d’être décevant.
Après avoir partagé l’affiche avec des maîtres du cinéma français tels que Guillaume Canet, Daniel Auteuil ou encore Pierre Niney, c’est cette fois-ci au tour de Lou de Laâge de porter la casquette de sage. Elle a su s’accaparer son rôle et l’interprète avec justesse.
Mention spéciale à Fabien Libiszewski, qui n’est pas issu du milieu du septième art et qui, pour son premier film nous offre une prestation très convaincante.

Dame adverse en H4 : échec et mat

Malheureusement, le film se conclut sur un happy end niais auquel on refuse de croire et qu’on voit pourtant arriver à des kilomètres. De manière plus générale, la deuxième partie du film, qui correspond à l’affranchissement mental de Cal, est totalement bâclée. L’axe psychologique, notamment, présent continuellement durant toute la première partie de l’œuvre, est ici survolé très rapidement.
C’est bien dommage pour ce long-métrage qui proposait pourtant une mise en scène intéressante, un univers authentique et un casting réussi.

Le Tournoi, de Elodie Namer, avec Michelangelo Passaniti, Lou de Laâge…, France. Sortie le 29 avril 2015.
 

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