A l’ombre de la République interdit de projection

 

A l'ombre de la République, de Stéphane MercurioA l’ombre de la République de Stéphane Mercurio, qui sortira en salles le 7 mars 2012, vient d’être frappé d’une interdiction de projection à Pau (Pyrénées-Atlantiques) après l’intervention de l’administration pénitentiaire.

On le sait, l’administration pénitentiaire obéit à des règles obscures, en marge de celles qui régissent la société “libre”. Un paradoxe qui accentue encore le mystère autour de l’institution, pour le plus grand soulagement de cette dernière. Il fut un temps où les films de prison consacraient des héros injustement incarcérés, prétexte à des scènes violentes et viriles ; un autre où les prisons de femmes constituaient un vice cinématographique franchement malsain ; et c’est surtout, le plus souvent, un endroit à éviter. Viols, meurtres, gardiens corrompus… Le cinéma nourrit les clichés sur la prison. L’univers carcéral alimente tous les fantasmes, le cinéma s’en bâfre et fait la pire pub qui soit : la prison est tantôt une jungle séduisante, qui donne à l’apprenti gangster ses lettres de noblesse, tantôt un lieu d’où seuls les plus forts sortiront. Quelques films sortent du lot en montrant l’envers du décor : le webdocu Prison Valley avait fait parler de lui il y a quelques mois pour sa justesse, et A l’ombre de la République… est censuré. Quoi de pire pour l’administration pénitentiaire que de montrer la réalité ? Les hommes “broyés” dans des lieux inadaptés, la main-d’œuvre à bas prix dont profitent de grandes entreprises françaises, tout cela au profit de ce qu’on appelle la démocratie.

En réponse à l’interdiction de projection qui a touché son film ce 31 janvier, la réalisatrice Stéphane Mercurio a rédigé un droit de réponse et revient sur le fossé entre son travail et la vision qu’en a “la centrale”.
Convaincus de la nécessité d’un tel film et du dialogue qui l’accompagne, nous publions ce texte dans son intégralité :

“Le 14 février prochain, mon film A l’ombre de la République devait être montré à plus d’une centaine de lycéens. J’ai appris, le 31 janvier 2012, que cette projection prévue de longue date dans le cadre d’un cycle sur la justice organisé avec le CDAD 64 (Conseil départemental d’accès au droit) vient d’être « déprogrammée » à la suite d’une intervention de « la centrale » (sic) m’a-t-on indiqué, c’est-à-dire de la direction de l’administration pénitentiaire. La salle était pleine selon l’exploitant, le Mélies à Pau. Les lycéens avaient réservé leur place. Des responsables de la maison d’arrêt de Pau étaient prévus, satisfaits, semble-t-il, de pouvoir débattre avec des jeunes. Les responsables de la maison d’arrêt ont dû renoncer au débat et le CDAD de Pau, l’organisateur de cette manifestation, s’est vu déconseiller de programmer le film au motif que des problèmes juridiques planeraient autour du film. Déjà « la centrale » était intervenue directement auprès de Canal + pour tenter d’empêcher la diffusion du film en mars dernier. La chaîne avait résisté à la pression. Le film fut multidiffusé à compter du 23 mars 2011 et les jours suivants.
Pour moi, la sortie en salles d’A l’ombre de la République doit être l’occasion de débattre de l’enfermement aujourd’hui en France, de son sens, de sa réalité. Il donne à voir ce que la société ne voit pas forcément. La rencontre avec les adolescents me semble fondamentale. Ils sont bercés par les stéréotypes véhiculés notamment par les téléfilms qui rendent souvent la prison soit romantique soit pleine d’aventures. Or la prison ne fabrique pas de héros ; elle broie les hommes.
L’administration pénitentiaire combat le film au prétexte que certains prisonniers y apparaissent à visage découvert. Ce fut leur volonté. C’est aussi leur droit. Comment faire un film documentaire sans respecter l’autre, sa volonté ? C’est une question de déontologie fondamentale dans notre métier. Comment faire un film sur les droits fondamentaux avec le contrôle général des lieux de privations de libertés sans respecter le droit à l’image des prisonniers ? Restituer un visage, une parole à ces hommes et à ces femmes, c’est les ramener du côté des Hommes. Ne plus laisser penser que ce sont des fauves, des monstres. Evidemment tout devient alors plus complexe.
Le Méliès à Pau cherche un autre film pour remplacer A l’ombre de la République. Ce ne sera pas celui de Catherine Réchard, Le Déménagement, lui aussi poursuivi par l’administration pénitentiaire sur le même motif de droit à l’image des détenus. Il n’a pas pu être diffusé sur France 3 et ce même 31 janvier, on apprend qu’il vient d’être déprogrammé à l’Assemblée nationale alors qu’une projection y était prévue…
Trouver un film récent sur la prison réalisé avec liberté ne sera donc pas chose facile !
A l’ombre de la République suit le travail du contrôle général des lieux de privations de liberté et avec lui pour la première fois, une caméra se rend dans les quartiers disciplinaires, les cours de promenades des prisons, dans le secret des chambres d’isolement des hôpitaux. Au fil des entretiens des contrôleurs se dresse un portrait des conditions de vie des hommes et des femmes privés de liberté dans la France d’aujourd’hui. Au-delà se révèle la face cachée de notre démocratie.

Il est aujourd’hui essentiel de permettre à des journalistes, des réalisateurs de travailler en toute liberté dans ces lieux. Il reste tant à dire. Tant à comprendre.”