Le panier garni de l’hiver 2019

 

Chaque année, les éditions Montparnasse se décarcassent pour nous offrir des films et des documentaires classés en « Haute Qualité Cinématographique », une certification qui garantit aux cinéphiles et cinéphages exigeants une isolation maximum contre les navets et les daubes. La sélection dont nous allons vous faire profiter est le geste éco-artistique essentiel contre la médiocrité.

 

Les indispensables Naked War, Coming In et Manon

Naked War- Joseph ParisCoup de projecteur sur le film de Joseph Paris Naked War qui revient sur la naissance en 2012 du mouvement Femen et du désir de ses rudes combattantes d’en découdre. Le réalisateur les a suivies durant une année, au plus près des évènements et au plus près du corps. Des corps nus qui leur servent d’armes, d’armures ou de boucliers contre toutes les formes d’oppression liberticide. Naked War n’est pas un outil de propagande mais un documentaire engagé qui s’interroge sur les qualités et les failles d’un groupe d’actions solidaires. Les femmes qui se mobilisent et militent chez les Femen ne sont pas dupes de l’image radicale qu’elles renvoient. Elles se savent aimées et se savent détestées quand elles piétinent sans regret les symboles de la société civile et religieuse. Mais parfois, elles se trompent, peut-on penser. Si la République française se nourrit de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, les trois principes de la devise qu’elle s’est promise de nous transmettre et de nous instruire, il y a de quoi, aujourd’hui, rester dubitatif sur le contrat ! Les Femen, elles, mènent des assauts contre les systèmes qui s’arrogent le droit de penser à notre place. Si ces femmes vous défrisent, passez votre chemin, si elles vous touchent, Naked War fera avancer votre schmilblick !

Coming In - Marlies DemeulandreDans Coming In, Marlies Demeulandre raconte l’homosexualité au travail à travers les nombreuses et incontrôlables interactions qui pourrissent et entretiennent notre quotidien entre sphère privée, sphère publique et sphère professionnelle. Rien que ça ! Des interactions qui, précisons le, devraient s’écraser sur une frontière absolument imperméable, puisque des principes déontologiques nous garantissent l’étanchéité absolue entre boulot et dodo. Mais tel n’est pas le cas ! La porosité est aussi une affaire d’éthique et de morale. Sinon, les témoignages recueillis ne réduisent pas ces hommes et ces femmes à leur simple sexualité, loin de là, mais replacent dans le contexte historique et social leur condition dans le milieu du travail, révélant par la même occasion des situations bien plus complexes qu’on ne pourrait le penser (ça on s’en doutait !!). Les échanges, les réflexions et les tranches de vie sont l’occasion de mieux comprendre « qu’est-ce qu’être homosexuel à son époque et sur son lieu de travail ». La richesse des informations fait de Coming In un incroyable outil de sensibilisation pour les DRH en manque d’inspiration.

Manon - Henri-Georges Clouzot-1949Manon d’Henri-Georges Clouzot se présente comme une adaptation de « Manon Lescaut » de l’Abbé Prévost. Comprendre par là qu’il s’agit plutôt d’une version « éthérée » du roman ! Comprendre par là que les ambitions formelles de Clouzot font de son film une œuvre singulière plutôt exigeante. Comprendre par là que ce n’est pas le film de Clouzot le plus facile. Comprendre par là que c’est aussi beau que chiant. Comprendre par là que le film a été récompensé par un Lion d’Or au festival de Venise en 1949. Comprendre par là que je ne suis pas hyper fan … Cette histoire d’amour sur fond de guerre reste tout de même une œuvre majeure dans l’histoire du petit cinématographe. A vous de tenter le voyage !

 

Les coups de cœur Orlando et La Petite Fille au bout du chemin

Orlando  Photo by Liam Longman © Adventure Pictures LtdOrlando de Sally Potter. L’histoire d’un jeune noble anglais qui promet à la Reine Elisabeth 1er de ne jamais vieillir. Orlando traverse les époques, vit de ses amours et d’aventures. Le film de Sally Potter est resté dans les mémoires pour le tour de force esthétique et l’interprétation enfiévrée de Tilda Swinton, la belle androgyne. Orlando s’apprécie comme une expérience artistique sensationnelle, le plus beau des outils contre l’engourdissement mental mais également comme une analyse pertinente du concept d’altérité qui parfois s’invite durant notre existence. Il n’y a pas d’âge pour sortir du placard ! Un pur bijou qu’il faut voir et revoir.

La petite fille au bout du chemin ©ed MontparnasseLa Petite Fille au bout du chemin. Roman culte de Laird Koenig. Thriller culte de Nicolas Gessner. L’histoire de Ryn qui vit retirée dans une maison isolée en compagnie de son papa, ou qui tente de le faire croire. Si La Petite Fille au bout du chemin ne ménage pas les hommes et leur coutumière arrogance, le film dresse le portrait d’une Amérique paternaliste et réactionnaire jusqu’aux bouts des ongles. On sort rincés devant les scènes de harcèlement et les tentatives de son héroïne pour se soustraire des griffes de la gente masculine. La force de cette œuvre s’explique par la direction des comédiens et comédiennes, Jodie Foster et Martin Sheen en tête, et la tension palpable de la première à la dernière seconde. Un film générationnel qui aujourd’hui ne pourrait plus être produit.

 

Un cinéma léger ! Le coffret 10 DVD Jean Rouch

Jean RouchJean Rouch s’inscrit comme l’un des plus grands cinéastes français, initiateur d’un courant appelé « Le Geste cinématographique » qui s’évertue à raconter le monde de la façon la plus réaliste possible. Le fameux geste cinématographique prend sa source dans la volonté de poser sa caméra là où il est impossible de mentir, là où la vérité éclate.
Ce formidable coffret, et c’est peu de chose de le dire, regroupe pas loin d’une trentaine de courts, moyens et longs métrages qui se déclinent en trois chapitres.

Le premier chapitre intitulé « Ethnofictions » -qui s’étale du début des années 70 jusqu’au début des années 90- met l’accent sur la vie quotidienne dans la société villageoise nigérienne. On y voit tour à tour le conseil tribal régler les affaires de la communauté sur la place du village, frères et cousins disserter et se chicaner autour de l’appartenance familiale, territoriale et des valeurs de l’amitié. Et puis des témoignages plus graves et bouleversants, quand il s’agit d’évoquer le douloureux sujet du SIDA et de l’épidémie qui frappe absolument toutes les strates de la société africaine. La parole taboue se libère, enfin.

Jean RouchLe deuxième chapitre « Rituels traditionnels et modernes (1960-1996) » présente cette fois-ci l’influence notable de la société politique et religieuse ivoirienne, nigérienne et malienne sur les modes de vie, qu’ils soient issus des zones rurales ou des zones urbaines. Les travaux de Rouch, qui s’intéressent autant aux individus représentant l’autorité qu’aux escortes de fidèles, tendent à nous faire comprendre que le continent africain dans sa globalité tente coûte que coûte de préserver ses racines dans des traditions séculaires pas vraiment en adéquation avec les « nouvelles sales habitudes consuméristes » venues d’occident. Le ver est dans les fruits, de ça nous en sommes convaincus. Dans le salon d’une maison, lors de funérailles, durant un mariage, les anciens dieux et les nouveaux démons s’invitent à la fête et provoquent des causeries endiablées ! L’Afrique est vivante !

Portrait de Raymond DepardonLe troisième et dernier chapitre « Promenades et Portraits (1960-1997) » s’intéresse aux alter ego de Rouch (notamment son pote Raymond Depardon) et aux institutions du 7ème art. Ces déambulations « méta » rappellent à notre bonne mémoire les immersions de Frederic Wiseman dans les grands lieux de la culture mondiale. Il a été reproché à Rouch sa niaiserie et un léger penchant à la culture Banania. Si nous devons lui reconnaître une grande qualité, serait celle de s’intéresser aux petites gens.
Un coffret « somme » absolument indispensable.

 

Coffret 5 DVD Il était une fois… Hollywood

Il était une fois HollywoodTout ce que vous avez toujours voulu savoir sur Hollywood sans jamais oser le demander, voilà comment pourrait s’appeler le coffret Il était une fois … Hollywood. Clara et Julia Kuperberg reviennent sur l’âge d’or du cinéma américain dans un déluge d’images d’époque et d’analyses (10X53’) ciselées autour de sujets comme la censure, l’influence des femmes, la mafia, les scandales, les gossip girls, les espions, les icônes féminines et masculines, les anges déchus et la ville de Los Angeles vue comme la cité du film noir. Bref une vraie thèse de doctorat avec possibilité d’obtenir en supplément son agrégation. Les très nombreux témoignages de cinéastes défunts et vivants (Dieu merci, ils sont vivants !), romanciers, photographes et autres artistes ayant participé de près ou de loin à la légende apportent chacun à leur manière leur pierre à l’édifice d’Hollywoodland. On peut penser que rien ne change à Babylone ! Ces 10 films documentaires rappellent à quel point Hollywood est une usine à rêve et la plus belle des fabriques à cauchemar. La visite guidée des coulisses nous laisse pantois car à l’instar de la recette du boudin noir il ne fait pas bon savoir qui égorge les cochons. Une certitude, derrière l’écran de cinéma se trame des intrigues encore plus hallucinantes que les œuvres projetées. Il n’y a pas mieux, ou pire, que la réalité racontée toute crue. Voir Il était une fois … Hollywood avant le nouveau film de Quentin Tarantino !

 

Le coffret Youssef Chahine

L'AUTRE de Youssef Chahine © DRJe termine ce long papelard sur la sortie du coffret Youssef Chahine. Le cinéaste égyptien, chantre de la liberté et de la modernité, n’a jamais cessé avec ses œuvres de donner de l’air frais à son grand pays, prisonnier de la folie des hommes, des religieux et des dictateurs. Pour que sa voix porte, le cinéaste a essentiellement offert la parole aux femmes et aux penseurs. Tout pour emmerder les détenteurs du pouvoir ! L’Autre, Le Destin, Silence… on tourne méritent d’être redécouverts. Surtout par les temps qui courent !