L’Ile de Giovanni, de Mizuho Nishikubo

 

L'Ile de Giovanni, de Mizuho Nishikubo1945 : Après sa défaite, le peuple japonais vit dans la crainte des forces américaines. Au nord du pays, dans la minuscule île de Shikotan, la vie s’organise entre la reconstruction et la peur de l’invasion. Ce petit lot de terre, éloigné de tout, va finalement être annexé par l’armée russe. Commence alors une étrange cohabitation entre les familles des soldats soviétiques et les habitants de l’île que tout oppose, mais l’espoir renaît à travers l’innocence de deux enfants, Tanya et Jumpei…

L’Ile de Giovanni rappelle à notre mémoire le destin d’une petite île japonaise annexée par les forces du bloc soviétique après la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui encore, le Japon revendique ce caillou de 182 km2 rattaché aux îles Kouriles. La Russie d’aujourd’hui dirigée par Poutine n’est pas près de céder à l’Empire du Soleil Levant la moindre parcelle de terre.
Au vu des événements relatés, l’animé aurait pu se diluer dans une soupe lacrymale mais tel n’est pas le cas. L’excès de pathos boursoufle le cinéma autant qu’il parasite une bonne intrigue. Face au courage d’un peuple qui a connu l’exil forcé, la production a préféré œuvrer dans le bon sens, à savoir nous raconter les bonnes et les mauvaises fortunes d’hommes et de femmes et ce, sans sucre ajouté et en toute sobriété. Respect.
La qualité du film réside avant tout dans sa fluidité. Les ruptures de ton, empreintes d’une nostalgie omniprésente, s’enchaînent sans à-coups. Kanta et Jumpei vivent la défaite comme les enfants qu’ils sont, ou qu’ils ne sont plus par la force des choses, avant que les forces russes réquisitionnent leur maison, leur école et leurs jardins. Eux qui, après la reddition, s’attendaient à voir débarquer les Américains. Après le temps des privations, c’est le temps de la confiscation. Tanya, fille d’un officier soviétique, adorable gamine arrachée à sa terre natale, symbolise l’occupation. C’est elle qui tente la réconciliation.

Le noyau dur du film raconte la vie dans les camps à l’extrême orient de la fédération soviétique. Une descente aux enfers. Le coup de génie du réalisateur et du scénariste est d’avoir mis en parallèle une narration minutieuse des faits historiques et la nouvelle de Kenji Miyazawa, Train de nuit dans la voie lactée, découverte par Kanta et Jumpei durant leur enfance et qui évoque un au-delà où les horreurs du monde seraient bannies. Entre souci de réalisme et souci de poésie, la fluidité du récit achève de consolider les fameuses ruptures de ton. Un peu comme Miyazaki dans Le vent se lève et Isao Takahata dans Le Tombeau des lucioles, les scènes contemplatives permettent de reprendre un peu d’oxygène. Mizuho Nishikubo ne cache rien des conditions d’internement et de la brutalité de l’Armée rouge.
Au gré des émotions que traversent les personnages, les visages se déforment rappelant l’animation japonaise d’autrefois quand les sentiments exacerbés à l’extrême virent à l’absurde. L’Ile de Giovanni s’adresse aux adolescents en âge de comprendre la folie des hommes. Un très grand dessin animé.

 
L’Ile de Giovanni (Giovanni no shima) de Mizuho Nishikubo. Japon, 2013. Sortie le 28 mai 2014.