L’Homme d’à côté, de Mariano Cohn et Gaston Duprat

 

L'Homme d'à côté, de Mariano Cohn et Gaston Duprat
L’écran est divisé en deux. Comme un inconscient qu’on refuse d’écouter, les coups de marteaux frappent. Le mur tient bon, ignore la douleur. Finit par céder. D’abord des miettes de ciment, puis un trou, béant.
Leonardo vit à Buenos Aires dans la maison Curutchet, la seule que Le Corbusier ait signée sur le continent américain et que la loi protège comme un chef-d’oeuvre. Des murs lisses, blancs qui prennent merveilleusement la lumière… Symbole de réussite par excellence pour cet architecte au succès international. Pourtant, un peu comme ces trois petits cochons qui dressent leur mur de paille ou de brique, Leonardo est sur le point de subir l’invasion du loup. Un homme qui lui réclame « un peu de rayons du soleil ».

Comment dire non à Victor, ce voisin plus envahissant qu’attachant ? Comment dire non à la construction d’une fenêtre, au cadeau laid dont on ne veut pas, comment parler à sa fille, exister par soi et non par sa création – une chaise design qui se vend une fortune partout dans le monde ? Dire non. Sans se cacher derrière une multitude de justifications – sa femme, la loi. Voilà l’enjeu. En n’y parvenant pas, l’homme tremble, s’effrite puis s’effondre. Un combat sourd se mène au son répété du marteau. Des coups qui ébranlent à chaque fois un peu plus sa vie, lui rappellent sa faiblesse incohérente.

Une banale histoire de voisinage, somme toute. D’une corde très fine se tisse le dialogue fracturé entre l’intello bobo et le beauf qui chasse – et qui baise, lui. Deux voisins – deux planètes – que tout oppose apprennent à se méconnaître au fil d’un script minutieux, mené avec soin. L’atmosphère pesante se noue, se serre, étrangle. Rafael Spregelburd et Daniel Araoz forment un duo fabuleux, d’une présence théâtrale. Deux personnages, comme deux grands types mais jamais monolithes s’affrontent en s’évitant dans ce huis clos bien construit. Tout en tension, les situations se brisent petit à petit sans que jamais le mur ne tombe. L’humour naît de ce vide immense sur lequel les personnages se penchent comme pour regarder au dedans d’eux-mêmes. Jamais il ne sauve. L’Homme d’à côté montre brillamment comment un détail peut prendre le dessus sur une vie bien rangée. Comment l’équilibre, s’il n’a pas pensé son déséquilibre, se transforme insidieusement en obsession.

L’Homme d’à côté (El Hombre de al lado), de Mariano Cohn et Gaston Duprat, avec Rafael Spregelburd et Daniel Araoz. Argentine, 2009. Sortie le 4 mai 2011.

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