Häxan, de Benjamin Christensen et Cagliostro, de Richard Oswald

 

Les Grands Illuminés

Häxan et Cagliostro sortent enfin de l’ombre et des fonds de tiroirs. Tournés dans les années 1920, leur destin s’est cristallisé dans la poussière et l’oubli, mais les œuvres, même les plus confidentielles, ont leur ange gardien. Nettoyés, briqués, remastérisés, les sorcières et le thaumaturge brillent de mille feux.

 
Affiche de Haxan de Benjamin ChristensenHäxan (1922), réalisé par Benjamin Christensen
Disponible en DVD aux éditions Potemkine films/Agnès B

Entre 1919 et 1921, le cinéaste suédois Benjamin Christensen dévore les ouvrages traitant de sorcellerie et de chasse aux sorcières. Sa passion du Moyen Age le pousse à s’immerger dans d’obscurs incunables, bréviaires de sorcières et autres manuels de la Sainte Inquisition. De février à octobre 1921, Christensen s’affaire à ce qui deviendra l’un des films muets les plus chers de l’histoire du petit cinématographe mais, surtout, une étude qui encore aujourd’hui fait référence ; la sorcellerie à travers les âges. Häxan déroule une série de tableaux d’une hallucinante beauté, où lumière et ténèbres se fondent et s’entrelacent comme pour mieux rendre les honneurs aux démons et fées de mauvaise vie. La lumière danse. Les suppôts crochus et cornus remontent des enfers accueillis en rois. Christensen pose l’ambiance et n’oublie rien ni personne : le manuel du parfait petit tortionnaire, le diable lubrique, les nonnes masochistes, les vierges folles… Black Sabbat, l’orgie bat son plein ! Häxan est avant tout une œuvre politique qui, fort heureusement, ne tombe pas dans le piège du manichéisme à deux sous mais dénonce les excès d’institutions reconnues par les sociétés de l’époque ; la vieille institution catholique romaine et sa terrible inquisition, ainsi que la moderne institution psychiatrique et ses terribles asiles. Sous ses airs gothiques, Häxan est un bijou du cinéma expressionniste. La Bête immonde trouve refuge dans un magnifique coffret 2 galettes contenant pas moins de trois versions : une première de 87 minutes soutenue par la bande-son de l’artiste islandais Bardi Johannsson et interprétée par le Bulgarian Chamber Orchestra, la version de 1968 (76’) narrée par William S. Burroughs sur le score du violoniste virtuose Jean-Luc Ponty, et la dernière, cerise sur le gâteau, dure 104 minutes. Ô joie !

 
Affiche de Cagliostro de Richard OswaldCagliostro (1929), réalisé par Richard Oswald avec Hans Stüwe, Charles Dullin, Alfred Abel…
Disponible en DVD aux éditions Potemkine films/La Cinémathèque française

Thaumaturge, alchimiste, aventurier, séducteur, voleur, comploteur, Joseph Balsamo, plus connu sous le sobriquet de “comte de Cagliostro” (rien que ça !), a tout vu, tout vécu, tout expérimenté, sauf qu’il n’est jamais devenu marchande de gaufres. Au XVIIIe siècle, Cagliostro s’est illustré en marchand de rêves au sein des cours royales d’Europe. En bon intriguant, l’homme ne soignait pas les pauvres. Non, il préférait hanter les couloirs des demeures majestueuses à la recherche de nobles incrédules prêts à se faire beurrer la raie pour quelques compliments. D’après la légende, Cagliostro a usé et abusé de son pouvoir (guérisseur et spirite) tout comme Raspoutine usera du sien auprès des Romanov. Cagliostro était peut-être un illuminé, mais il était fou de sa femme, fou d’amour, et c’est elle qui tirait les ficelles. Cagliostro, le film, brasse les genres (drame, amour, aventure, cape et d’épée, espionnage…) et les intrigues. La fameuse « affaire du collier », si bien reprise par Alexandre Dumas dans son roman Le Collier de la reine (n’hésitez pas à poursuivre la lecture avec Ange Pitou et La Comtesse de Charny), nourrit l’intrigue principale qui revient sur l’inéluctable chute du combinard à la cour de France. Grandeur et décadence. Aussi trépidant soit-il (quelques ventres mous viennent gâcher la fête, mais réalisé il y a près de 80 ans, Michael Bay, Tony Scott et moi-même pardonnons aisément), la distribution peut faire tiquer et laisse même quelque peu à désirer ; Marie-Antoinette ressemble à une vieille catin et Louis XVI souffre visiblement d’anorexie. Seule la comtesse de La Motte, interprétée par Ilena Meery, donne matière à s’émouvoir. Mais Cagliostro a de la tenue, un charisme certain, c’est l’essentiel. Et cette superproduction européenne d’accueillir deux futurs génies du septième art, Marcel Carné et Jean Dreville (cliquez ici pour en savoir plus).