Le Discours d’un roi de Tom Hooper

 

Le discours d'un roiJ’avais déjà vu Le Discours d’un roi depuis une semaine quand j’ai croisé François Hollande à la boulangerie. Un peu avant moi dans la queue, accompagné par sa nouvelle conquête, tout ce qu’il y a de plus élégant. La réussite sociale inscrite en haut du front. Sourire radieux et propre. Et mon père qui m’enfonce son coude dans la hanche, en toute discrétion « T’as vu ? C’est… Comment il s’appelle déjà ? Celui qui va se présenter aux présidentielles… » Non ! Impossible ! Mais qu’est-ce qu’il a maigri ! Métamorphose inversement proportionnelle à son ex-compagne au franc-parler inimitable… Eh oui, Ségolène Royal a forci. Volonté d’asseoir sa silhouette, de lui donner un poids… électoral ? Besoin de casser son image de sexe-symbole politique, trop féminine et donc moins crédible pour un certain électorat traditionnel ? Stratégie, croissants, stress ou amphétamines, qu’importe, on ne peut pas ne pas y prêter attention. Cette vision d’un François Hollande mince achetant son pain m’a confrontée à une réalité toute télévisuelle : la politique est-elle autre chose que de la communication ?

A quel point les médias ont-ils transformé et transforment la manière de faire de la politique ? La radio bannit les bègues comme la TV impose à François Hollande de suivre un régime s’il veut gagner les élections présidentielles de 2012. C’est ce que l’excellent film de Tom Hooper, tout en allers-retours entre l’intimité d’un personnage national et son exposition publique met en lumière : le basculement de la société dans une ère toute nouvelle, celle de la communication.

Le Discours d’un roi séduit par son raffinement, un charme tout anglais : réserve des sentiments, humour distingué, dialogues virtuoses. En bégayant, ce roi nous accroche à la langue, nous suspend à sa fluidité, à l’écoute méthodique de ses trébuchements, avec entre ses mains le destin de l’Europe, du monde. Bien en prit à son frère abdicataire, George VI, l’idée de se marier à une femme qui ne plaisait pas à Buckingham puisqu’au delà de ces désirs de mariages avec quelque veuve au mari pas-encore-tout-à-fait-mort, il nourrissait des sympathies nazies. La face du monde en aurait été changée. Comme l’avait bien senti Aristote, l’Histoire se joue à des détails. C’est aussi ce que montre le film.

Colin Firth incarne avec la subtilité qu’on lui avait déjà reconnu dans A Single Man, de Tom Ford (2010), la confrontation des sphères privée et publique. Le monarque est aussi un mari et un père. Qu’est-ce que la peopolisation du monde politique sinon des destins individuels projetés sur écran pour une échelle nationale – art brillamment amorcé par Valéry Giscard d’Estaing qui n’hésite pas à être interviewé avec son chien ? Les débats télévisés, plus qu’un combat d’idées, opposent des personnes, des attitudes. Chaque signe compte, cravate, regard. Le président au labrador a d’ailleurs remporté la mise, en 1974, avec une phrase devenue culte, un véritable slogan, «Vous n’avez pas le monopole du coeur », adressé à son adversaire François Mitterrand. La politique est un spectacle, joue sur l’affectif donc nous parle d’hommes (et de femmes) plus que d’Etat.

Le Discours d’un roi pose la question de la construction de ce que chacun expose. S’il est impossible d’envisager aujourd’hui de « faire » de la politique sans communiquer, de même on peut se demander si on existe socialement sans page Facebook. En devenant chacun un personnage public, grâce à Internet, il est très clair qu’une bonne partie de notre existence finit en images, voire est motivée par cette finalité d’immortalité cybernétique. Or, l’image nous impose de la contrôler car les foules forment un public exigeant et se repaissent de pâtures. L’ère est au commentaire, avec en toile de fond le spectre du pouce levé : « J’aime » donc je suis. La grande question qui me vient serait donc : que ferions-nous si ce n’était pas dans le but d’en parler, de le dire, de le montrer ? Que ferions-nous vraiment?

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