Compte rendu du 4e Festival du film policier de Beaune

 

4e Festival international du film policier de BeauneLe 4e Festival international du film policier de Beaune a tiré sa révérence un dimanche 1er avril et ce n’est pas une blague. Il faudra attendre le 7e Festival international du film policier de Beaune en 2015 pour connaître une ouverture un mercredi 1er avril. Si toutefois, car rien n’est jamais sûr dans la vie, l’équipe de Lionel Chouchan et Bruno Barde décide d’ouvrir le Festival international du film policier de Beaune un mercredi 1er avril. Tout dépend de la conjoncture économique et sociale, des grilles horaires de la SNCF ou si votre serviteur devenu une figure incontournable de la région accepte d’ouvrir le Festival international du film policier de Beaune un mercredi 1er avril. C’est agaçant, non ? Et pourtant, cette question d’ouvrir ou pas le Festival international du film policier de Beaune un 1er avril est cruciale, et il faudra bien se la poser, y penser, prendre une décision. Oui, mais laquelle me direz-vous ? La fameuse question d’ouvrir…
Avant de débuter réellement mon compte rendu beaunois, je vais passer en revue les principales expressions foireuses qui s’appliquent si bien au site et à la situation : la sélection est un grand cru, les acteurs sont capiteux, la mise en scène manque de rondeur, le film tient en bouche, le scénario a du tanin et ma préférée, Vahina Giocante aime le goût du blanc.
Comme chaque année, nous nous sommes rassasiés de meurtres, flingages, complots, courses-poursuites, trahisons et autres cataractes d’humeurs collantes peu ragoûtantes.
Le jury présidé par Jean-Loup Dabadie a récompensé Margin Call, un sage film américain au casting béton qui suit la dernière nuit d’une équipe de traders avant un krach boursier. Headhunters, thriller allemano-norvégien, a été récompensé par le prix du jury et m’a valu le plus beau fou rire en salle depuis… oui, depuis quand ? depuis La Chèvre ou La Vie de Brian. Le jury de la critique, composé de Caroline Vié-Toussaint (20 Minutes, Télé Loisirs, Grand Écart), Stéphanie Belpêche (le Journal du Dimanche), Mehdi Omaïs (Métro), Antoine Bordat (Anglesdevue.com) et votre serviteur (Fluide Glacial, Grand Écart, Mèches et moustaches, le magazine des amis du Führer), a honoré Ben Wheatley pour Kill List, un premier film audacieux. Le jury Police s’est mis d’accord pour Shadow Dancer (nous y reviendrons) et le prix du sang neuf est allé à A.C.A.B : All Cops are Bastards, polar italien que je n’ai pas encore vu.
Joel Schumacher remplaçait au pied levé Richard Donner (absent pour raison familiale) comme tête d’affiche américaine en réservant à son ami un très bel hommage et assurant de voix de maître la master class animée par Caroline Vié-Toussaint. Joel Schumacher nous a surpris par sa volubilité et sa troublante sincérité. Ce n’est pas pour autant que nous louerons son chapelet de daubes, mais le bonhomme s’est révélé aussi intéressant qu’éminemment sympathique et abordable. Caroline Vié-Toussaint qui aime torturer les artistes assurait dans la foulée la formidable leçon d’acteur en compagnie de l’acteur irlandais Brian Cox, grimé pour l’occasion en Louis La Brocante.
Le choc du festival reste pour le public et les professionnels le film d’action thaïlandais The Raid présenté hors compétition.
Pour des raisons pratiques, j’ai pris la décision de créer un film-à-film sérieux et pratique. C’est le moment tant attendu : je déclare ouvert le 4e compte rendu du Festival international du film policier de Beaune 2012.

 
Citizen Gangster, Edwin Boyd (Canada, 2011), réalisé par Nathan Morlando avec Scott Speedman, Kelly Reilly, Kevin Durand, Joseph Cross…

Edwin Boyd, de Nathan MorlandoVétéran de la Seconde Guerre mondiale, Edwin Boyd tourne en rond, déçu par la tournure que prennent les événements. Boyd rumine son retour comme un échec cuisant. Il se rêve en tête d’affiche à Hollywood mais parvient tout juste à subvenir aux besoins de sa petite famille. Acculé par le désespoir, il lui prend l’idée de braquer les banques avec panache.
Citizen Gangster célèbre un bandit canadien légendaire sous le sceau du quotidien et de l’anti-spectaculaire mais une mauvaise impression persiste quant à l’intensité des hold-up. A force de se la jouer modeste, le réalisateur n’offre rien de plus qu’une série de braquages aux limites du ridicule. Un peu comme si vous vous prépariez des plombes pour dévaliser le Petit Casino en bas de chez vous et repartiez avec un stock de Papy Brossard.
Le spectacle est convenu, la légende bien trop vite mise en place. Le soldat malfrat rentre en clandestinité, femmes et enfants souffrent et les acolytes d’Edwin Boyd grimacent. Les gueules patibulaires manquent de charisme, la traque manque de style. C’est assez ennuyeux. Une petite histoire de vie ratée.

 
Columbus Circle (Etats-Unis, 2012) réalisé par George Gallo avec Selma Blair, Amy Stuart, Jason Lee, Giovanni Ribisi, Beau Bridges….

Abigail vit seule dans un luxueux appartement de New York. Dès les premières secondes, on se demande (car nous avons un peu de jugeote) si la demoiselle agoraphobe ne cache pas un secret d’enfance qui l’aurait méchamment traumatisée. Ah mais c’est bien sûr !
Poursuivons. La voisine de palier d’Abigail décède et de nouveaux voisins bruyants emménagent (elle qui aime tant la discrétion). Un couple de voisins qui forcément vont bouleverser sa vie sinon le film n’aurait aucune raison d’être. De Columbus Circle nous attendons, entre deux bâillements, le twist final. C’est Hollywood Night.

 
Headhunters (Norvège et Allemagne, 2011) réalisé par Morten Tyldum avec Nikolaj Coster-Waldau, Aksel Hennie, Julie Olgaard…

Headhunters, de Morgen TyldumRoger Brown a tout pour lui ; une grande maison, un bon boulot et une femme ravissante. Roger sait qu’il vit au-dessus de ses moyens alors pour compenser il vole des œuvres d’art. Lors de l’inauguration d’une nouvelle galerie, sa femme lui présente Clas Greve. Clas intéresse Roger pour deux raisons : il pourrait convenir sur un poste de travail que Roger cherche à pourvoir et Clas possède un Rubens. Pourquoi ne pas faire d’une pierre deux coups, se dit Roger ! Quel malin ce Roger ! Mais tel est pris qui croyait prendre ! L’arroseur à rosé ! Hips ! Tout ça, quoi…
Headhunters ne fait pas dans la dentelle quand il s’agit d’expliquer et réexpliquer les situations. Comme si le réalisateur avait la trouille de perdre son public, conscient que son scénario aussi bordélique qu’alambiqué n’aidait en rien à la bonne avancée de l’intrigue. Il faut dire que les imbroglios entre héros, antihéros, femme, maîtresse, copains, cochons et chiens ne participent pas à la bonne compréhension de l’ensemble.
Headhunters est un thriller fourre-tout. Bizarrerie de l’affaire, le réalisateur s’applique à des saillies délirantes tout à fait étonnantes. Le film possède une séquence hilarante inoubliable. Gros fou rire de la salle. Pour le reste, il faut s’armer de patience. Le dernier quart d’heure réserve son lot mérité de révélations. Headhunters, c’est mieux qu’une adaptation de Jean-Christophe Grangé.

 
Headshot (Thaïlande et France, 2011) réalisé par Pen-ek Ratanaruang avec Nopachaï Jayanama, Celine Horwang, Chanokporn Sayougkul…

Tul est un flic intègre dans un monde corrompu. Un politicien véreux s’arrange pour qu’on l’accuse d’un crime odieux. Hors du jeu, Tul accepte d’être tueur à gages pour une organisation qui se débarrasse de ceux qui se croient au-dessus des lois. Drôle de paradoxe. Une mission tourne mal et Tul prend une balle dans la tête. Il voit le monde à l’envers. Pas facile quand il faut remonter une piste juchée d’embûches.
Pen-ek Ratanaruang réalise des œuvres sensibles et appliquées. Soit on y adhère, soit on jette le bébé avec l’eau du bain. Je suis client de ces longs plans contemplatifs et des récits déstructurés. De premier abord, Headshot n’est pas engageant et pourtant, il suffit juste d’un peu de patience et la force du récit hypnotise. Rien de moins. Mise en scène, scénario, interprétation, Headshot transpire le cinéma.

 
Kill List (Angleterre, 2011) réalisé par Ben Wheatley avec Neil Maskell, MyAnna Buring, Harry Simpson, Michael Smiley…

Kill List, de Ben WheatleyJay accepte un nouveau contrat. Il est un tueur à gages au bord de la crise de nerf, sous le traumatisme d’une mission assurée à Kiev huit mois plus tôt. Traumatisé par qui et par quoi ? Son employeur le convoque et lui confie une liste de personnes à éliminer. Son partenaire, le fidèle Gal, l’accompagne.
Kill List raconte le quotidien personnel et professionnel de deux vilains bonhommes. Nous les appréhendons sous toutes les coutures avec leurs bons et leurs mauvais côtés. Ce ne sont pas des enfants de chœur, l’ambiance est posée, le ton est donné.
Kill List vaut pour les degrés de lecture auxquels on veut bien adhérer selon son humeur du moment. Ben Wheatley offre une vision radicale des rapports humains et trop en dévoiler serait vous gâcher le plaisir. Un indice : c’est sans concessions et ça remue. Ames sensibles s’abstenir. Kill List va crescendo jusqu’au bouquet final.
Je pose toutefois quelques réserves à ce spectacle détonant restant largement sur ma faim, un peu comme si je m’étais fait embringuer dans une aventure qui, en bout de course, se foutait de ma poire. Il m’en faut plus pour dresser mon poil retors. Prix de la critique.

 
Margin Call (Etats-Unis, 2011) réalisé par J. C Chandor avec Kevin Spacey, Jeremy Irons, Paul Bettany, Simon Baker, Demi Moore, Stanley Tucci…

Une équipe de traders sentent le vent tourner. Demain c’est le krach, la faillite, la grande déculottée. Le modèle mathématique est obsolète. Dès l’ouverture, au petit matin, il faudra vendre, vendre, vendre…
Margin Call est un polar de bureau rondement mené et interprété. Pas ou peu de temps mort. On y voit les jeunes loups aux dents longues le trouillomètre à zéro, au garde-à-vous, qui attendent les ordres. Aux étages supérieurs, les avocats, les chefs de service, les clients et le big boss déshumanisés à l’extrême appliquent les procédures d’urgence. Nous n’avons aucun doute sur les victimes collatérales de ces procédures. C’est le Grand Prix du jury qui n’a pas pris grand risque.

 
Miss Bala (Mexique, 2011) réalisé par Gerardo Naranjo avec Stephanie Sigman, Noe Hernandez, James Russo, José Yenqué…

Miss Bala, de Gerardo NaranjoLaura, prétendante au titre de Miss Beauté, est kidnappée par un cartel de la drogue. Ses ravisseurs lui assignent de sales besognes, la torturant mentalement et physiquement. Prise au piège, trop impliquée, Laura ne voit pas d’issu à ce cauchemar.
Miss Bala a tout du film de festival ; ultra-convaincant sur le fond et la forme, puissant, terrorisant. Ces bandes organisées (qui n’ont rien à voir avec les gangs d’ados) en lien avec les pouvoirs locaux fichent la trouille. Le cinéaste essaie de nous faire comprendre que le Mexique, gangrené jusqu’à l’os par les affaires, repose sur un système où la corruption est une religion. Tout comme Laura, nous nous sentons pris en otage. Peu de films m’ont à ce point terrifié.
L’intrigue un peu trop linéaire dessert des idées que peut-être il aurait fallu mieux exploiter. Cette immersion en compagnie d’une pauvre fille ne laisse pas de marbre. Stephanie Sigman de tous les plans crève l’écran.

 
No Rest for the Wicked (Espagne, 2011) réalisé par Enrique Urbizu avec José Coronado, Rodolpho Sancho, Helena Miquel, Juanito Artero…

Santo Trinidad n’est pas un flic modèle. Il picole et ne glande rien. Un temps, il fut le meilleur d’entre les meilleurs. Un soir de beuverie, il pète les plombs et tue le personnel d’un bar de nuit. Un témoin a réussi à s’enfuir. Il a tout vu. Une course-poursuite s’engage…
Le film a été récompensé par six Goyas, l’équivalent de nos César. Avant de rentrer dans la salle, nous frétillions tous de concert. Quelle déception ! Quelle mauvaise surprise ! La chasse à l’homme tourne court. Le vieil alcoolo nous saoule, patinant dans la semoule. Les enjeux semblent inexistants alors que le cinéaste nous prévenait une heure avant de sa volonté d’avertir le public de la faiblesse des services de renseignement espagnols. Manifestement la mollesse de la police a déteint sur son scénario. Le film est chiantissime au possible.
On comprend juste que l’alcool rend con et que bourré, on peut tuer. Bref, c’est idiot, vain et pas mal putassier. Il était pourtant question de l’implantation des organisations terroristes islamiques sur le sol ibérique. Bouarf.

 
Shadow Dancer (Irlande, Royaume-Uni et France, 2012) réalisé par James Marsh avec Clive Owen, Andrea Riseborough, Gillian Anderson…

Shadow Dancer, de James MarshColette est avec ses frères une activiste de l’IRA. Après son arrestation suite à un attentat raté, un agent du MI5 lui propose de passer 25 années en prison ou d’espionner sa famille contre la liberté. Colette accepte à contrecœur de trahir les siens. Après l’échec d’une opération, les membres d’une cellule de l’IRA soupçonnent Colette d’être passée à l’ennemi.
Shadow Dancer réussit le tour de force de ne jamais nous faire vibrer et nous impliquer au coeur de… quoi que ce soit ! Dire que le réalisateur passe à côté de son sujet est un doux euphémisme. Le film est bourré de scènes inutiles qui ne montrent rien ou pas grand-chose ; des discussions entre quatre yeux, de longs soupirs, des interrogations, de belles ouvertures de porte et j’en passe.
Nous nous sommes tous très ennuyés. C’est le genre de sujet matière à chef-d’œuvre. On peut dire ce qu’on veut, mais le cinéma engagé sans scénario laisse à désirer.

Le Festival de Beaune a le mérite de révéler chaque année un auteur ou un film coup de poing. Il y a trois ans avec Bronson, Nicolas Winding Refn nous assommait. L’année dernière Bullhead nous portait un coup de boutoir ravageur. Cette année, Miss Bala, Headshot, Kill List et The Raid ont fait le spectacle. Je dis vivement l’année prochaine à Beaune.