Sergueï Paradjanov, cinéaste ukrainien, grand ami de Tarkovski, abandonne ses travaux réalistes après deux documentaires majeurs (Les Mains d’or et Dumka, hommage à la culture de son pays), préférant s’orienter vers un cinéma aux ambitions formelles tournées vers les contes et légendes de l’Oural. L’homme compose des poèmes. Une poésie animée, foudroyante de liberté. Mystique et magique.
Les Chevaux de feu (1965), « Roméo et Juliette de l’East End », à mes yeux son chef-d’œuvre, où l’amour et la cruauté éclatent de beauté. La culture orthodoxe habite chaque objet mais ne fait pas office de folklore. Paradjanov évite tout maniérisme, il travaille le symbolisme. L’hallucination permanente (la photo de Youri Ilenko fera sa légende) ne trahit jamais la volonté du cinéaste de commémorer les peuples et leurs cultures. Exalter l’âme de la Géorgie, l’Arménie et l’Ukraine. Cette tragédie shakespearienne évite au cinéaste les désagréments de la censure. Une censure qu’il subira une grande partie de sa carrière.
Les Palitchouk et les Gouténiouk se haïssent. Ivan et Marichka s’aiment. Yvan s’en va gagner de l’argent dans les montagnes. Les années passent. Marichka est victime d’un accident. Yvan tombe en dépression puis en pâmoison devant Palagna, qu’il épouse et qu’il n’aime pas. Cette dernière se détourne vers le sorcier du village qui pense à se débarrasser d’Yvan. La caméra inventive nous fait de l’œil.
Sayat Nova. Paradjanov raconte l’histoire du poète arménien Sayat Nova à travers une série de tableaux relatant les grands moments de sa vie. Le troubadour Nova quant à lui, messager universel, donne du fil à retordre à la censure soviétique. Un ménestrel qui bat la campagne de l’Arménie à l’Ukraine sans autorisation du Parti s’attire les foudres du Politburo, même mort, et davantage s’il met un point d’honneur à transmettre les traditions séculaires.
La Légende de la forteresse de Souram. Dans les temps les plus reculés, les Géorgiens décidèrent de construire une forteresse pour leur pays contre les invasions. Mais celle-ci s’effondre dès que l’on parvient au niveau du toit. Pour achever la forteresse, un beau garçon doit accepter d’y être emmuré vivant.
Paradjanov tourne La Légende de la forteresse de Souram après une longue période d’emprisonnement. Impossible de ne pas saisir la tristesse et le désespoir du cinéaste. Voici une critique courte et efficace ; un plan et dix idées par plan. C’est dire si vous serez sevrés de cinéma.
Achik Kerib, conte d’un poète amoureux. L’histoire, en forme de conte, est celle d’un amour absolu entre Achik Kerib, jeune poète pauvre, qui chante la geste des preux avec son luth, et Magoul-Méguérie, la fille d’un riche marchand. Le père refuse le mariage déshonorant de sa fille avec ce vagabond. Achik Kerib doit alors faire fortune en mille jours et mille nuits pour obtenir le consentement paternel.
Une nouvelle fois, Paradjanov tourne l’oralité. A l’heure de la Glasnost le voilà enfin débarrassé des vieux démons communistes. Sélectionné dans les festivals internationaux, Achik Kerib se présente aux yeux du grand public. Paradjanov l’illusionniste travaille les images et le son aux limites du graphisme. Artiste fidèle, sans concessions, il raconte et raconte encore. Pas de radotage, Paradjanov propose un travail unique et merveilleux. Les passionnés de cinéma sont unanimes sur le shoot émotionnel et visuel puissance mille. Magie du cinéma.
Coffret Paradjanov, avec Les Chevaux de feu, Sayat Nova, La Légende de la forteresse de Souram, Achik Kérib. Sortie DVD le 2 avril 2013 aux Editions Montparnasse.