Rencontre avec Keith Thomas

 

Unorthodox

Ce 29 juillet 2020, quelques semaines après la date initialement prévue par son distributeur Wild Side, sort au cinéma The Vigil. Un premier film horrifique novateur, ambitieux, sincère… et surtout réellement terrifiant par moments. Bref, une oeuvre qui mérite qu’on s’y attarde. Rencontre en terres vosgiennes avec son scénariste-réalisateur Keith Thomas.

The Vigil, de Keith ThomasQuand on aime le film de genre, en particulier d’horreur, on se retrouve vite à fouiller les méandres des boutiques spécialisées et des forums du Net en quête DU film, celui qui ne ressemblera pas aux dix regardés le mois précédent, celui qui n’utilisera pas les mêmes ressorts pour susciter effroi et intérêt. On a beau aimer nos classiques et le regain horrifique de ces dernières années, voir des Exorciste-like ou des Insidious-like a tout bout de champ a aussi ses limites. Aussi, sans savoir grand-chose du film, assister en plein Festival de Gérardmer à la projection de The Vigil avait quelque chose de merveilleux. Le premier film de Keith Thomas – certes non exempt de défauts – emporte l’adhésion par son originalité et sa maîtrise formelle.
C’est l’histoire de Yakov, jeune adulte qui quitte sa communauté juive orthodoxe new-yorkaise pour se jeter dans le grand bain du monde (celui avec des téléphones portables, de la musique, de la liberté mais aussi de la brutalité et de la solitude) et revient le temps d’une nuit pour une veillée funèbre particulièrement funeste : corps mort sous un drap au milieu du salon, maison aussi mal éclairée que la grotte de Lascaux, vieille veuve sénile, parquet qui craque. Autant d’éléments du patrimoine horrifique qui trouvent ici un enchaînement logique et innovant.
Mais, aussi tendu de bout en bout qu’il soit, The Vigil doit surtout énormément à l’écriture du scénario (signé également du réalisateur). Au cinéma, le diable et autres démons sont étroitement liés à la chrétienté et à l’image qu’elle véhicule. Rares sont les films à montrer un autre type de combat face aux forces infernales. En plaçant son récit au sein d’une communauté juive, avec ses propres superstitions, ses propres peurs et ses propres exorcismes, The Vigil surprend autant qu’il terrifie.
Autant de bonnes raisons de rencontrer Keith Thomas au sortir de cette projection du Festival de Gérardmer 2020 – festival pré-COVID on vous le rappelle, et aussi pré-Unorthodox, l’excellente mini-série de Maria Schrader disponible sur Netflix.

 
The Vigil est un film d’horreur, mais c’est aussi un film sur une communauté… C’est votre histoire ?

Une partie de ma famille éloignée est hassidique. Ma mère est juive, je suis donc juif, mais mon père ne l’est pas. J’ai grandi dans un milieu assez laïque, hors de la vie religieuse. Ma mère s’est rapprochée plus tard de la religion. C’est à ce moment-là que j’ai moi-même commencé à explorer la religion et à me documenter. J’ai toujours été fasciné par la théologie – l’étude des textes religieux –, et je savais que le jour où je me déciderai à réaliser mon premier film d’horreur, j’aurai besoin de parler de quelque chose de personnel, quelque chose que je connaissais, des choses à la fois culturelles et spécifiques. J’ai réalisé qu’il y avait très peu de films d’horreur sur les juifs, et absolument aucun sur cette communauté orthodoxe. Cette communauté ayant beaucoup plus de croyances superstitieuses que la majorité des communautés juives, je me suis dit que ce serait intéressant d’y situer mon film, et de m’intéresser à ces superstitions.

Au début du film, Yakov a quitté la communauté et parle de ses peurs dans ce « nouveau monde ». La religion éloigne-t-elle de la société ?

Dave Davis dans The VigilDans le cas de ces personnes, oui, c’est évident. Et dans cette scène d’ouverture, toutes les personnes à la table autour de Dave Davis, cet exceptionnel acteur principal qui interprète Yakov, ont vraiment fait partie puis quitté cette communauté. Dans la vraie vie comme dans The Vigil, c’est un genre de groupe de soutien pour ces personnes. La communauté juive orthodoxe, un peu comme la communauté amish, s’est retirée de la société et a ses propres règles, ses propres lois. Ses membres vivent dans la plus grande ville américaine, mais restent pourtant en dehors. C’est étrange, mais c’est comme ça. Et c’est intéressant : les gens qui l’ont quittée et que j’ai rencontrés, étaient excités d’être dehors parce qu’ils avaient accès à plein de choses qu’ils n’avaient pas dans la communauté, comme la technologie, les films, la musique, toutes sortes de nourriture, la possibilité d’explorer la ville… Et en même temps, la communauté leur manquait. La camaraderie leur manquait, le soutien, parce que pour eux, se retrouver dans un monde laïque est très froid, très solitaire. Personne ne vous aidera à payer votre loyer si vous avez du mal, personne ne vous aidera à vous relever si vous tombez… Dans la communauté, personne n’a faim, tout le monde a une maison, on se sent en sécurité. Mais ces gens se sont également sentis trop isolés. Certains sont gays, certains sont des artistes, veulent créer des choses, ce qui n’est pas acceptable là-bas. Ils sont donc partis pour trouver leur propre chemin.

Yakov est dans ce moment où il l’a quittée, mais il n’a pas encore trouvé sa voie…

J’ai pensé que ce serait un intervalle intéressant pour faire vivre le personnage, déchiré entre les deux mondes. C’est toujours intéressant d’avoir quelqu’un qui quitte quelque chose, et qui revient avec un peu de recul. Yakov traverse une crise. Il a un pied dans chaque monde, et doit aussi s’occuper de ses propres problèmes : le traumatisme qu’il a vécu, les raisons qui l’ont poussé à partir : il avait besoin de voir un docteur, de prendre une médicamentation… Je pensais que le forcer à affronter ce qui cause sa crise donnerait quelque chose d’intéressant. C’était mon point de départ. Je devais commencer avec ce personnage dans cette situation difficile ; c’est un cliché, mais il devait essentiellement affronter ses propres démons, c’est le sujet de The Vigil.

Comment on affronte ses démons, son chagrin ?

Dave Davis dans The VigilPour moi, la réponse est clairement de passer à travers, d’avancer. The Vigil parle de traumatisme et de la peur qui peut nous habiter. Affronter ses démons, c’est une aventure intérieure. Il n’y a pas de poignard pour le tuer. Le seul moyen est d’affronter ses démons, de prendre ses problèmes à bras le corps.

The Vigil réussit à faire peur, sans pour autant utiliser à outrance les jump scares et autres effets horrifiques actuellement à la mode. Comment avez-vous imaginé les moments de peur ?

Je voulais utiliser tous les moyens possibles pour créer la peur. Y compris le jump scare, la musique assourdissante… Mais j’avais effectivement envie d’essayer autre chose, pour donner à voir à l’écran une autre peur. Pour moi, la réussite de l’effet de peur réside dans sa construction. C’est la tension qui la précède qui va produire la peur. J’ai donc essayé de faire traîner la tension longtemps, pour mettre le public mal à l’aise, avant de déclencher l’effet horrifique. Il fallait que le spectateur ait le temps de se mettre à la place du personnage.

The Vigil est votre premier film. Comment passe-t-on de la recherche médicale à la réalisation ?

L’envie de raconter des histoires et de réaliser a toujours été là. Déjà à l’école, je publiais des nouvelles, des chroniques ciné, des poèmes. Puis mon travail avec des patients à écouter leur vie, à leur expliquer les protocoles de recherche, a encore stimulé mon imagination. Mes rencontres m’ont beaucoup inspiré pour mes histoires, et enfin pour ce premier film, que je rêvais de réaliser depuis des années.

A votre avis, qu’est-ce qui fait d’un film, un bon film ?

Keith Thomas, réalisateur de The VigilMmmh… Quand j’ai écrit le scénario, on a passé beaucoup de temps en préproduction avec mon directeur photo. J’ai eu beaucoup de chance d’avoir un bon directeur photo. On a passé beaucoup de temps à imaginer comment on allait tourner les plans, ce qu’allait donner la photo. Mais c’est vraiment le troisième jour de tournage que j’ai réalisé ce que j’étais en train de faire. Parce que je ai écrit The Vigil, j’ai casté les acteurs, j’ai choisi l’équipe, j’ai tout calculé, mais sur le plateau, j’avais beau parler à tout le monde et crier « Action ! », je n’avais pas encore compris ce que fait vraiment un réalisateur. Et donc, ce troisième jour, on installait la cuisine, quand mon directeur artistique m’a amené des cuillères et m’a demandé : « Celle-ci ou celle-là ? » Elles allaient être dans des tiroirs qu’on n’allait jamais ouvrir. Et pourtant j’ai su immédiatement : « Celle-là ! »
Je crois que ce que fait le réalisateur, c’est de maintenir la vision du film. C’est avoir le film dans sa tête et être capable de le restituer sur le plateau aussi clairement que possible, pour que dès qu’une question est posée, on puisse répondre immédiatement. Parce que c’est ça, un plateau de tournage : tout le monde posant en permanence des questions. Où est la caméra ? Quelle lentille on utilise ? Où va cette lumière ? Comment je joue cette scène ? Qu’est-ce que je dois porter ? Personne ne connaît la réponse… Tu portes ça. La lumière va là. La caméra ici. On utilise une lentille 15 mm. Tu vas jouer comme ça… Tu dois avoir toutes ces choses en tête et être capable de les reproduire sur le plateau. Je pense – en tout cas dans mon cas – que faire un film sans savoir tout ça a une grande chance de ne pas fonctionner. Parce qu’il n’y a pas de capitaine à bord du navire. Ca ne veut pas dire qu’on doit être un commandant, hurler sur tout le monde et être un connard, ça veut juste dire qu’il faut avoir confiance dans ce qu’on fait, savoir où on va et maintenir le cap.

 
The Vigil de Keith Thomas, avec Dave Davis, Menashe Lustig, Lynn Cohen… Etats-Unis, 2019. Sortie le 29 juillet.