72e Festival de Cannes : séance de rattrapage

 

Mektoub my love : Intermezzo, d'Abdellatif KechicheVoilà, le 72e Festival de Cannes est terminé, et il faut dire que ce fut une grande édition, même si le choc incontestable qui met tout le monde d’accord n’a pas vraiment eu lieu. La Palme d’or est certes unanime au sein du jury d’Alejandro Gonzalez Inarritu, et plébiscitée par la presse française et internationale, mais, auprès des festivaliers sondés ces derniers jours, chacun avait un favori différent, tant la qualité de la sélection offrait tous les pronostics possibles. Si choc il y a eu, c’est celui provoqué par Abdellatif Kechiche avec Mektoub My Love : Intermezzo. Une longue séquence d’ouverture sur la plage, aux discussions banales, puis 3h (TROIS HEURES) enfermés dans une boîte de nuit avec cette bande de jeunes Sétois, au son d’une mauvaise techno suffisamment insipide pour pouvoir éviter les faux-raccords, suppose-t-on. Des fesses qui twerkent, en gros plan, en contre-plongée – on croirait voir un Terrence Malick qui se serait reclus dans une boîte de nuit un peu vide un soir de semaine. Et… c’est tout. Plus qu’un choc, un malaise général. Et des interrogations. Sur le traitement réservé aux comédiennes et sur sa place en compétition, quand le Festival se targue d’une conversion sinon féministe, au moins plus égalitaire.

It Must be Heaven, d'Elia SuleimanPas de claque, donc, à part sur les fesses rougies d’Ophélie Bau – qui a toute notre compassion. Mais chacun des films vus, s’ils pouvaient être inaboutis, confus, trop longs, ou quelque reproche ou regret possible, recelait de vrais moments de cinéma et avait sa place en compétition. Le temps nous a manqué pour en parler, tentons de nous rattraper. It Must Be Heaven, d’Elia Suleiman, vu le même jour que le film de Kechiche, fut une bouffée d’air, justement présente au palmarès. Entre Tati et Buster Keaton (pour le chapeau), il balade son regard amusé et ironique de la Palestine à New York en passant par Paris. Film à sketchs, certains anecdotiques, d’autres plus frontalement politiques, It Must Be Heaven souligne les bizarreries typiques de la France ou de l’Amérique, et regarde cet Occident toiser ce curieux cinéaste palestinien. Un producteur parisien qui adorerait travailler sur son film, si seulement il n’était pas drôle et s’il était militant pro-Palestiniens. Comme s’il lui était interdit d’être léger, d’être poétique, de parler d’autre chose – ce qu’il fait brillamment. Les producteurs américains, eux, l’ignorent superbement, plus occupés à faire un film sur la conquête de l’Amérique du Sud, mais parlé en anglais. Gros succès pour ce sketch lors de la projection officielle au Grand Théâtre Lumière, où quelques jours plus tôt, les acteurs et personnages autrichiens de Une vie cachée, de Terrence Malick s’exprimaient en anglais (quand les nazis, eux, beuglaient en allemand).

Atlantique, de Mati DiopParmi les films également primés, Bacurau est un drôle de western brésilien, qui commence comme la chronique d’un village perdu au milieu de nulle part, avant d’être pris pour cible par des mercenaires aux motivations obscures. Un peu trop d’ailleurs pour emporter notre suffrage, même si le film est surprenant et installe une vraie tension, tout en adressant quelques piques aux politiques corrompus. Atlantique, récompensé par un Grand Prix, entre un peu dans la même catégorie de ces beaux films auxquels on ne comprend pas tout. Malgré une superbe image et une ambiance bien installée, dans les rues et la nuit du Sénégal, il faut confesser notre confusion devant tant de thèmes brassés – conditions sociales, départs clandestins vers l’Europe, mariages contraints… – et, surtout, de personnages passant de la vie à la mort et inversement.

Roubaix, une lumière, d'Arnaud DesplechinAu rayon des absents au palmarès, citons Sibyl, de Justine Triet, et la performance de Virginie Efira, passant d’une émotion à une autre dans ce portrait d’un personnage qui vacille, chute et se relève sans cesse. Un film ambitieux, mélangeant les arcs narratifs, en ode à la fiction comme nouvelle réalité. Un discours que ne renierait pas Tarantino. Question rapport entre fiction et réalité, Desplechin a aussi son mot à dire. Roubaix, une lumière surprend de la part du réalisateur d’Un Conte de Noël, spécialiste des drames personnels psychologisants. Ici, justement, de la psychologie, il y a peu. Mais de la précision documentaire, oui. Un film comme un acte de foi envers les institutions, le travail quotidien de la police, la bienveillance de son commissaire Daoud (excellent Roschdy Zem). Un flic qui ne juge pas mais veut comprendre, accompagner, soutenir, même les criminelles à la petite semaine, dont la bouleversante Sara Forestier. On a aussi vu durant cette quinzaine un Dolan en mode mineur (Matthias et Maxime), finalement bien plus touchant lorsqu’il ne se cache plus derrière les artifices. Une oeuvre de jeunesse tardive, une « coming of age story », genre qui n’a pas d’équivalent français, et peut-être de coming out tout court… la fin reste ouverte.

 
Parasite, de Bong Joon-ho
 

Le palmarès du 72e Festival de Cannes

Palme d’or

Parasite, de Bong Joon-ho
 

Grand Prix

Atlantique, de Mati Diop
 

Prix de la mise en scène

Le Jeune Ahmed, de Jean-Pierre et Luc Dardenne
 

Prix d’interprétation masculine

Antonio Banderas pour Douleur et gloire, de Pedro Almodovar
 

Prix d’interprétation féminine

Emily Beecham pour Little Joe, de Jessica Hausner
 

Prix du jury ex æquo

Les Misérables, de Ladj Ly
Bacurau, de Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles
 

Prix du scénario

Portrait de la jeune fille en feu, de Céline Sciamma
 

Mention spéciale

It Must be Heaven, d’Elia Suleiman
 

Caméra d’or

Nuestras madres, de Cesar Diaz