El Presidente, de Santiago Mitre

 

Ombre au sommet

El Presidente, de Santiago MitreOn avait quitté Santiago Mitre auréolé du Grand Prix Nespresso de la Semaine de la critique en 2015 pour Paulina, portrait d’une jeune femme avocate, puis prof, éprise de justice sociale, qui doit affronter ses principes alors qu’elle est victime d’un viol. On retrouve certains de ces thèmes dans le troisième long-métrage du cinéaste, qui passe pour l’occasion à l’étape supérieure avec une sélection à Un Certain Regard. On sent d’ailleurs que Santiago Mitre a pris de l’ampleur. C’est ainsi à des enjeux plus ostensiblement politiques qu’il s’attaque, en mettant en scène le président argentin au cœur d’un sommet international visant à créer une alliance entre les pays d’Amérique du Sud équivalente à l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole). Une sorte de Jean-Luc Mélenchon argentin, qui, interrogé par une journaliste, voit dans la question du Bien et du Mal le fondement de son engagement politique. Sauf que les choses ne sont pas si simples. Les négociations en coulisses, les affaires qui surgissent, sans parler d’une relation compliquée avec sa fille (Dolores Fonzi, l’actrice de Paulina) viennent mettre à mal ces beaux discours.

El Presidente, de Santiago MitreSi la chronique politique, entre Borgen et House of Cards, est parfaitement exécutée – révélant ce qui se dit quand deux chefs d’Etat se serrent la main pour la photo ou les rapports de force cachés sous le protocole – le film semble parfois se perdre dans les multiples pistes qu’il amorce. L’ambition des conseillers de l’ombre, les enjeux diplomatiques et économiques de la place des entreprises privées dans une telle alliance de pays sont esquissées. Mais Santiago Mitre semble plus intéressé par la dimension personnelle de ce prédisent qui se veut, lui aussi, normal. Sa fille, débarquée au Sommet sur fond de révélations impliquant le gendre, vient perturber le cours normal des choses. Hypnotisée à la suite d’un petit pétage de plomb, elle réveille des souvenirs enfouis qui ne lui appartiennent pas mais ébranlent son père de président. Malheureusement, on n’en saura guère plus et l’on reste sur sa faim. Qui est cet homme aux abords respectables ? Quelle est sa part d’ombre ? Jusqu’où est-il prêt à trahir ses engagements et le fait-il dans son intérêt personnel ou pour le bien commun ? Ces questions restent en suspens, comme le conseiller diplomatique qui se voit débarqué aux bords d’une route enneigée. C’est beau, certes, puissant à certains égards, mais on se demande parfois ce qu’on est venu faire là.

 
El Presidente (La Cordillera) de Santiago Mitre, avec Ricardo Darín, Dolores Fonzi, Erica Rivas, Daniel Giménez Cacho… Argentine, 2017. Présenté en sélection Un Certain Regard au 70e Festival de Cannes.