L’amour en fuite : Rencontre avec Diego Lerman

 

Refugiado de Diego LermanDéjà remarqué à la Quinzaine pour L’Oeil invisible, Diego Lerman revient présenter Refugiado, un film fort sur la violence conjugale. C’est par les yeux de Mati, 8 ans, qu’on découvre Laura, à terre, battue par son mari. Lorsqu’elle se relève, elle passe de refuges en hôtels miteux, terrifiée à l’idée que son mari retrouve sa trace. Diego Lerman filme l’angoisse et la fuite. Il filme aussi un enfant, qui ne comprend pas toujours la nécessité de cette course sans fin, même s’il sent le danger. Un enfant confronté au monde des adultes dans ce qu’il a de moins réjouissant, avant de trouver, finalement, le réconfort et l’apaisement dans une magnifique séquence finale.

Pourquoi le film s’appelle-t-il Refugiado, et pas Refugiada ou Refugiados ?

Le point de vue principal est le regard de l’enfant. Le film commence et termine par cet enfant. C’est comme une quête, il s’agit de retrouver son regard.

Est-ce aussi une manière d’adoucir une histoire violente, d’offrir des respirations avec les séquences de jeu ?

Refugiado de Diego LermanRefugiado a plusieurs dimensions qui m’intéressent. L’histoire de Laura, bien sûr, et de la violence faite aux femmes. Il s’agissait aussi de capturer la spontanéité, la naturalité de l’enfance. Etre dans cette légèreté. Je vois ce film comme un voyage. Il me semble que le regard des enfants est le juste point de vue sur ce thème. Cela permet un regard différent, sans dénonciation trop frontale, explicite ou manichéenne. Quand j’ai commencé le film, sûrement de manière inconsciente, c’était aussi une manière de parler de ma propre enfance, de témoigner de la manière dont j’ai vécu et souffert de la dictature. Le film part aussi d’un fait très concret, qui s’est déroulé devant ma maison de production. Un matin en arrivant, il y avait une femme en sang, la police, les médias… Elle s’était fait tirer dessus par son mari, déguisé en vieil homme, devant l’école où elle amenait ses enfants. C’était l’année où est née ma fille, et je n’arrivais pas m’empêcher de penser à ce fait divers, de me demander comment réagissent les enfants, ce que ça fait de voir son propre père se déguiser pour tirer sur sa mère. Je me demandais aussi d’où venait cette violence, comment imaginer un tel stratagème. C’est là qu’a commencé une longue enquête sur cette violence domestique. J’ai visité des refuges, j’ai rencontré des travailleurs sociaux, etc. Ca a donné de la chair à ce thème, qui m’est en fait tombé dessus.

Vous disiez ne pas vouloir prendre le sujet de manière trop frontale, est-ce que c’est un sujet casse-gueule ?

A l’inverse, en Argentine, c’est un thème fort. Tous les jours, on entend parler d’un nouveau cas de violence conjugale. Je voulais justement m’éloigner de cette chronique médiatique quotidienne, donner à cette histoire une plus grande ampleur, et ne pas rester collé au fait divers. Je voulais montrer toute la profondeur, la complexité, l’ambiguïté qu’il peut y avoir dans ces histoires.

Comment est-on perçu quand on est un homme en enquêtant sur ce genre d’histoires ?

Refugiado de Diego LermanAu début, il y avait une distance, une retenue, un peu de méfiance. Mais au fur et à mesure de mes investigations, en apprenant à connaître ces femmes, les choses se sont débloquées. Je suis allé dans un refuge à Buenos Aires qui n’accepte pas l’entrée des hommes. Même les gens qui y travaillent sont des femmes. On a fini par avoir l’autorisation, et ça a été un moment très fort. Sachant que j’étais là pour faire un film, ces femmes sont venues vers moi dans une sorte de catharsis. Le fait que je fasse des recherches pour ce film voulait dire que je raconterai leur histoire. Ce jour-là, quand on est arrivé, il y avait une trentaine de femmes et d’enfants qui mangeait et regardait à la télé une émission sur la violence faite aux femmes. C’était très étrange de les voir, elles qui portaient sur leurs corps les marques de cette violence, regarder une telle émission. J’ai aussi travaillé de manière très étroite avec une femme, qui travaille sur ce thème et avait la confiance des gens que je rencontrais, et puis, j’ai coécrit le scénario avec une femme.

En choisissant de filmer la fuite, plutôt que le quotidien d’une femme battue, certaines séquences très fortes se rapprochent du thriller…

Ce sont des choix esthétiques, mais je ne sais pas si ce sont des choix très rationnels et très conscients. Je réfléchis en termes de cinéma, et je raconte les choses de manière cinématographique, presque instinctivement. Ici, la solution me paraissait évidente. Le film raconte un voyage, et il devait forcément prendre la forme d’un thriller : c’est l’histoire de quelqu’un qui est poursuivi. Je n’intellectualise pas tellement les choses, mais il me paraissait que c’était la forme adéquate, la manière la plus personnelle de raconter cette histoire. En rencontrant ces femmes, elles m’ont dit que le pire n’était pas la violence des coups, mais la peur permanente. La violence dans le film reste hors champ, je ne la montre pas. Je ne montre que les conséquences. Ca me paraissait important, et ça m’intéressait plus d’un point de vue cinématographique, que de montrer un homme battant une femme.

 
Refugiado de Diego Lerman avec Julieta Diaz, Sebastián Molinaro, Marta Lubos… Argentine, 2014. Présenté à la 46e Quinzaine des réalisateurs. Sortie le 13 mai 2015.