A ciambra, de Jonas Carpignano

 

Cargaison de Roms

A ciambra, de Jonas CarpignanoUne Cannoise exaltée dit au réalisateur Jonas Carpignano, à l’issue de la projection de son film A ciambra à la Quinzaine des réalisateurs : « Merci, vous m’avez fait voyager ! » Et quel voyage en effet que celui des bidonvilles de Roms de Calabre, l’une des régions les plus pauvres d’Italie. On y suit le quotidien de la famille Amato, fait de petites combines et de menus larcins. On pirate l’électricité, on vole des voitures que l’on revend à leurs propriétaires, on dérobe du cuivre, on cambriole, bref, on tente de survivre en bénéficiant de la protection des terribles Gadjos dont on redoute qu’ils cessent de sourire. Et parmi cette famille qui rappelle, sans le vouloir ni le savoir, celle d’Affreux sales et méchants d’Ettore Scola, il y a le jeune Pio dont on va suivre la trajectoire.

Pio admire son frère aîné, serait prêt à tout pour participer à un bon coup en sa compagnie, quitte à le suivre en prison. Mais Pio est aussi tiraillé par son amitié pour un Africain (la lie de l’humanité selon les Gitans), réfugié politique du Burkina Faso qui lui témoigne une confiance sans borne, en partageant ses (més)aventures. Lorsque Pio se retrouve chef de famille – quand son père et son frère sont emmenés au poste de police -, il décide de veiller sur les siens et de trouver de l’argent, coûte que coûte.

Mais comment en sont-ils arrivés là, ces Amato ? Une question qui plane tout le long du film avec les incursions oniriques qui reviennent au temps où le grand-père, encore jeune, cherchait la bonne fortune avec son cheval. Le grand-père, quasiment mutique, a désormais un pied dans la tombe et assiste aux éclats de voix de sa famille et à ses élans parfois violents, mais toujours bordés d’amour. Sans le dire, on voit dans ses yeux presque éteints qu’il souhaiterait que Pio ne suive pas cette voie et s’engage dans une autre. L’adolescent en a pourtant l’occasion, à de multiples reprises, mais le naturel revient toujours au galop. Jonas Carpignano a-t-il pour autant réalisé un film sur la fatalité ? La destinée de Pio est-elle prédéterminée depuis sa naissance ? Loin s’en faut, car ce n’est pas la première fois qu’il met ces visages devant sa caméra. La fiction rejoint la réalité et inversement. Après le déracinement de son précédent long-métrage (Mediterranea sur les migrants africains qui arrivent en Italie), voici l’enracinement. Profond comme les fondations de ce bidonville d’où on se faufile, le long de ses entrailles, pour échapper à la police. Profond comme l’amour qui unit cette famille. A aucun moment, il ne se pose en juge. Plutôt comme un témoin attendri. Et il était émouvant de retrouver les Amato à Cannes en habits du dimanche pour se présenter aux yeux de leur tout premier public. Gageons que ce ne sera pas la dernière fois. Et vu la virtuosité de Jonas Carpignano, qui a amalgamé en lui cinémas européen et américain, il y a fort à parier qu’on retrouvera cette famille prochainement et qu’elle nous redonnera de ses nouvelles…

 
A ciambra de Jonas Carpignano, avec Pio Amato, Koudous Seihon, Damiano Amato, Iolanda Amato… Italie, 2017. Présenté à la Quinzaine des réalisateurs 2017.