American Honey, d’Andrea Arnold

 

Ados de la route

American Honey, d'Andrea ArnoldChez Andrea Arnold, on ne prend jamais les mêmes et surtout on ne recommence pas. Après son « puzzle » d’écrans vidéo dans les bas-fonds de Glasgow (Red Road), après son tableau d’une adolescence solitaire dans la banlieue de Londres (Fish Tank) et après son incartade sur les Highlands des Hauts de Hurlevent, la cinéaste britannique a choisi cette fois-ci d’aller voir, son cinéma social sous le bras, si l’herbe qui pousse de l’autre côté de l’Atlantique est plus verte… American Honey (traduire « Américain(e) pur sucre ») est un road-movie mené tambour battant sur les routes du Midwest américain, porté par un casting encore une fois inconnu au bataillon ou presque. C’est l’histoire d’une étoile fuyante, Star (fantastique Sasha Lane), adolescente de 18 ans prisonnière d’une famille totalement perdue pour la cause (père incestueux, mère pas très claire, tous les deux démissionnaires). La jeune fille décide de prendre le large à bord d’un van. A son bord, une bande de jeunes dont un Shia LaBeouf en chien fou hâbleur et cabotin (un rôle sur mesure). Lancés à toute berzingue sur l’asphalte sud-américain, ils « avancent » (c’est déjà ça) de ville en ville pour faire du porte-à-porte afin de vendre des abonnements de magazines. Initiée et très vite intégrée au crew (à l’exception des accrochages récurrents avec Krystal, talentueuse Riley Keough, chef de meute intraitable de la petite entreprise ambulante), Star découvre un autre mode de vie. Entre liquides euphorisants de toutes sortes, marie-jeanne, batifolages et argent pas toujours très propre. Comme elle, ils ont tous quitté le foyer familial histoire de mettre un peu de sucre dans leur bol. De se donner une chance de devenir des adultes pas trop mal. Les moins pires possibles.

Pour tourner son film, Andrea Arnold a opté pour le format 4:3. Un cadre pour le moins serré, peu approprié au genre du road-movie. Et pourtant, ça tient la route. Car plus encore qu’aux paysages, Andrea Arnold s’intéresse davantage aux forces et aux tremblements qui agitent cette nouvelle famille de substitution. Avec son format 4:3, sa caméra toujours trépidante et sa lumière toujours naturelle, la cinéaste cadre au plus près des visages et des corps pour mieux nous plonger dans l’intimité de ces jeunes têtes brûlées. On passe ainsi de longs moments à l’intérieur du van, lieu de vie principal et incontournable du film. Coincée dans l’espace exigu de l’habitacle, Arnold insuffle à ces séquences (merveilleusement montées) une incroyable effervescence. L’occasion pour nous de faire plus ample connaissance avec les personnages. L’occasion également de profiter d’une bande-son aux petits oignons (oui, sur la route, on écoute de la musique), entre trap (sous-genre dirty south du hip-hop), pop et country. Elle est omniprésente. Assourdissante, dirons certains. Elle nous en dit pourtant beaucoup sur les émotions et les sentiments de la troupe qui, elle, y puise toute son énergie avant de rejoindre le prochain motel miteux. Quant aux missions de porte-à-porte, elles apparaissent comme autant de confrontations avec les différentes communautés (religieuses, sociales, économiques) qui composent les vastes territoires du Midwest. De la bourgeoisie Wasp et pavillonnaire de Kansas City à la réserve indienne miséreuse de Pine Ridge dans le Dakota du Sud, aux champs de forage pétrolier de Williston, dans le Dakota du Nord… Et aux visages de ses adolescents, Andrea Arnold de laisser poindre alors en filigrane celui d’un sud américain contrasté, inégal, âpre et excessif.

 
American Honey d’Andrea Arnold, avec Shia LaBeouf, Sasha Lane, Riley Keough… Angleterre, Etats-Unis, 2016. Prix du jury du 69e Festival de Cannes.