Rencontre avec Chloe Zhao

 

La femme qui murmurait à l’oreille des chevaux

Chloe ZhaoDeux ans après Les Chansons que mes frères m’ont apprises, Chloe Zhao revient sur la Croisette, à la Quinzaine des réalisateurs pour présenter son deuxième long-métrage, tout aussi beau et bouleversant, The Rider. Ou l’exploration de la solitude d’un jeune champion de rodéo obligé de renoncer à ses rêves à cause d’un accident qui a failli lui coûter la vie. A la limite du documentaire, les principaux protagonistes incarnent leurs propres rôles et osent montrer leurs émotions sans artifices. Rencontre avec la réalisatrice Chloe Zhao, qui filme les chevaux comme on respire.

 
Qu’est-ce que votre premier film, Les chansons que mes frères m’ont apprises, a changé pour vous ?

La chose la plus importante, c’est qu’il m’a fait quitter New York où je vivais depuis douze ans pour Denver, dans l’Etat du Colorado, où je ne connaissais personne. C’est comme si je recommençais tout depuis le début. Et j’avais davantage de temps pour moi. C’est d’ailleurs la raison qui m’a conduite à réaliser The Rider, car je vivais alors près du Dakota du Sud. En partant de New York, je suis devenue une meilleure personne, même si je continue d’aimer cette ville.

Vous saviez que ce film avait obtenu un joli succès en France ?

Oui, le distributeur, Diaphana, avait l’air très content. C’est super de savoir que ce film a marché chez vous. D’ailleurs, lequel de mes deux avez-vous préféré ?

The Rider, probablement…

Moi aussi !

Les Chansons que mes frères m’ont apprises parlait de la communauté des Indiens d’Amérique, ici, avec The Rider, on s’intéresse aux cow-boys. Etait-ce un souci d’égalité ?

Vous savez, les cow-boys que l’on voit dans The Rider ont aussi du sang indien. Les personnages de mes deux films vivent dans la même réserve. Pour moi, ce n’est pas une question de couleur de peau, d’autant qu’ils vivent tous ensemble, mais c’était intéressant pour moi de montrer les deux côtés.

Comment avez-vous rencontré Brady ?

Je l’ai rencontré dans un ranch de la réserve il y a deux ans de cela. Il marchait avec ses vaches et j’ai trouvé qu’il avait un superbe visage. Quand je l’ai vu dresser des chevaux, j’ai tout de suite su qu’il serait le héros de mon prochain film.

Savait-il à l’époque que vous étiez réalisatrice ?

Pas au début, mais il l’a su par Cat Clifford qui joue de la guitare dans mon premier film et qu’il connaît bien.

C’était difficile de le convaincre de jouer dans The Rider ?

Non, car le rodéo, c’est du show business, il avait donc déjà l’habitude de se montrer devant des caméras.

Après la première projection du film, vous aviez dit que 90 % de ce que l’on voyait à l’écran était issu de la réalité…

Non, en fait cela ne concerne que Brady. Il y a beaucoup d’éléments qui viennent de la fiction pour le film. Mais il est vrai que le personnage de Brady est proche de ce qu’il est dans la vraie vie. La cicatrice que l’on voit sur son crâne, vers le milieu du film est réelle. Au début, c’est juste une reconstitution de ce qu’il a traversé après son accident.

Il a donc revécu son accident pour le film ?

Il s’est blessé en avril de l’année dernière et on tournait en septembre. Il m’avait raconté toute son histoire et je l’ai réécrite pour l’occasion. Je ne crois pas que ça l’ait dérangé plus que cela, de revivre tout ça, car il est plus physique que psychologique.

C’était son premier film, comment était-il sur le plateau ?

C’est quelqu’un de très concentré, qui sait exactement où se placer vis-à-vis des caméras. Lui et les autres jeunes gens qui sont dans le film, ses vrais amis dans la vie, sont des personnes authentiques, ils s’en fichaient des caméras. La seule chose qui perturbait un peu Brady, c’est la scène où il devait pleurer. Il m’avait dit ne pas l’avoir fait depuis plus de sept ans, qu’il ne savait pas s’il pourrait le faire. On s’est installés dans la voiture où la scène devait avoir lieu, juste lui et moi et on a parlé de choses tragiques qui lui étaient arrivées. Et il a pleuré finalement, ses larmes sont sorties toutes seules. C’était incroyable, car il est très dur, mais pour lui, la caméra est une permission pour être vulnérable, pour exprimer sa tristesse. Quand on a terminé la scène, il était tout heureux d’avoir pu le faire. Il était super fier. Ce qu’il n’a pas aimé par contre, ce sont les scènes où il devait travailler dans un supermarché. C’est un homme de la nature, un homme de la terre, qui aime chasser et pêcher. Si on le met entre quatre murs ou dans un bureau, il deviendrait fou.

Qu’est-ce qui vous intéressait finalement dans ce film ? Montrer le destin de cet homme ou filmer les rodéos ?

Les rodéos font partie prenante de l’identité des Etats-Unis. J’ai toujours voulu les inclure dans un film. Mais surtout ici, je voulais célébrer ceux qui doivent abandonner leurs rêves mais qui continuent de rêver. Je ne voulais pas seulement montrer des héros dont les rêves se réalisent. Que se passerait-il si un super-héros perdait ses pouvoirs et devenait un humain comme les autres ? C’est plus intéressant. Mon film est dédié à ces laissés-pour-compte qui sont généralement oubliés par Hollywood.

Brady va-t-il entamer une carrière dans le cinéma ?

Brady Jandreau dans The RiderJe l’espère, il ferait un superbe acteur. Mais il faudrait le convaincre de quitter le Dakota du Sud. Il est vraiment très proche de ses chevaux, donc si vous lui proposez de passer quelques mois en Europe pour tourner un film, je ne suis pas certaine qu’il accepterait. Ses chevaux lui manqueraient trop. Mais s’il peut rester aux Etats-Unis, possible qu’il le ferait, même si je ne le vois pas courir après une audition.

Vous aimez filmer les paysages, comme le ferait Terrence Malick. Peut-on dire que la nature est votre personnage principal ?

Oui, le premier et le dernier. La relation de l’homme à la nature est la question la plus importante de notre civilisation. Le temps et les saisons nous affectent. Il faut arrêter de détruire la nature. Quand on voit les vagues d’un océan ou un orage, on constate à quel point la nature est belle et forte, il faut être humble par rapport à tout ça.

La solitude, les addictions, font partie des thèmes de vos deux films. Sont-ce là des thèmes récurrents pour vous ?

Les addictions proviennent de la solitude. Mais la solitude, oui, m’intéresse. J’aime montrer et explorer les difficultés des liens entre les gens, les difficultés d’être avec soi-même. Je me suis aussi posée beaucoup de questions sur moi, car je me sens étrangère partout où je vais : j’étais une enfant solitaire, je suis partie de chez moi très jeune… J’aime ma solitude, même si c’est difficile. Je pense que je peux dire que je suis devenue amie avec ma solitude et qu’il est important pour les gens d’apprendre à vivre seul.

Quels sont vos prochains projets ?

Je travaille sur deux films différents : l’un est un western historique et l’autre se passera en Chine. J’ai envie d’y retourner.

 
The Rider de Chloe Zhao, avec Brady Jandreau, Tim Jandreau, Lilly Jeandreau, Cat Clifford, James Clhoon… Présenté à la 49e Quinzaine des réalisateurs.