Rencontre avec Julie Gourdain

 

Au Festival international du film d’Aubagne, le cinéma s’aborde sous le prisme de la musique. Dans la sélection courts-métrages, plus de soixante-dix films étaient en compétition. Grand Écart a rencontré Julie Gourdain, réalisatrice du film Un grand silence et son compositeur, Simon Meuret. Ils nous parlent de leur collaboration, née ici à Aubagne, du rapport si particulier qu’entretient la musique avec l’image. Et de la capacité à se glisser dans l’espace de l’un et de l’autre, sans l’assourdir. Au moment de l’entretien, les prix ne sont pas encore révélés. Un grand silence se verra remettre cette année au Festival, le Grand prix de la Fiction.

Un grand silence, de Julie GourdainJulie Gourdain, vous avez présenté cette année au FIFA, votre premier court-métrage Un grand silence. Quel a été votre parcours avant la réalisation de ce premier film ?

Julie Gourdain : Après un master en Histoire et esthétique du cinéma à Paris VII, j’ai réalisé un master Cinéma en réalisation à l’ECAL-HEAD, en Suisse [Ecole cantonale d’art de Lausanne et Haute école d’art et de design à Genève, ndlr]. En sortant de l’école en juin 2012, j’ai commencé à écrire le scénario de mon court-métrage Un grand silence. Je l’ai présenté en 2014 à Aubagne, à l’espace Kiosque, où j’ai rencontré mes producteurs. Nous avons commencé le développement du film et l’année suivante, j’ai participé aux rencontres 3e Personnage du Festival d’Aubagne, qui est un dispositif mettant en relation réalisateurs, producteurs et compositeurs. C’est là que j’ai rencontré Simon Meuret. Un an plus tard, nous présentions Un grand silence en sélection. Ce film est né ici !

En tant que réalisatrice, comment envisage t-on le travail d’écriture de musique avec un compositeur ?

J.G. : J’avais fait une note d’intention à l’occasion des rencontres 3e Personnage, où je présentais mes orientations musicales, les instruments qui m’intéressaient. Rien n’était définitif mais ce dont j’étais certaine, c’est que je ne voulais pas de musique narrative.

Simon Meuret : Du moins, d’une musique qui ne double pas la narration.

J.G. : Oui, je souhaitais quelque chose qui soit en contrepoint du film, qui ne renforce pas le pathos. J’avais donné à Simon quelques références filmiques et musicales. Nous nous sommes rencontrés en amont du tournage et nous avons commencé à travailler sur scénario, ce qui était très intéressant parce que cela nous a permis de construire une grammaire musicale.

S.M. : Pas seulement musicale. Travailler ensemble, c’est aussi apprendre un vocabulaire commun, une grammaire commune. Parce que réalisateurs et compositeurs avons chacun notre propre langage, il était important d’en créer un que nous puissions partager. Il existe des sens cachés, des significations étrangères aux uns et aux autres. Et ce langage commun nous a guidés pendant toute l’écriture du film.

J.G. : Concrètement, nous avons travaillé à partir d’une des premières propositions qu’avait présentée Simon lors des rencontres 3e Personnage et qui m’avait plu. Nous nous voyions à son studio pour écouter en stream, retirer certaines pistes, en rajouter d’autres… Simon a l’habitude de dire que nous avons travaillé de manière artisanale, ce qui me plaît assez, dans le sens où nous remettions l’ouvrage sur le métier sans cesse. Simon travaillait de son côté et me faisait écouter, puis nous retravaillions en session, il continuait le travail de son côté et me faisait écouter à nouveau… Ainsi de suite.

Vous avez commencé le travail musical à partir du scénario. Qu’est-ce que cela produit avec les images ? Comment se construit le rapport musique-image ?

J.G. : Nous avons commencé à créer la grammaire musicale sur scénario puis nous avons mis le travail de composition en pause, le temps du tournage. J’avais prévenu Simon qu’il s’agissait de pistes lancées mais qu’une fois les images posées, les choses pourraient bouger, pourraient peut-être ne plus coller. J’avais du mal à me projeter de manière définitive. Nous avons effectué une projection avec un pré-étalonnage sur une V1 de montage. Cela donnait une vraie ambiance du film avec des images désaturées, très froides, ce que je recherchais. Simon y a assisté. A partir de là, nous nous sommes remis au travail avec les versions de montage et progressivement, la musique s’y est calée. L’équipe et moi avions, pour commencer le montage, des streams de Simon. Avec le monteur, nous avons commencé à placer la musique, puis Simon est intervenu et ensemble nous avons retravaillé les différents endroits où la musique était placée. La grosse partie du travail s’est faite sur le montage image. Mais il était déjà initié en préparation.

Quelles étaient les références musicales et visuelles soumises à Simon Meuret ?

J.G. : A la base, il y avait déjà deux références musicales dans le scénario : la chanson Tous les garçons et les filles de Françoise Hardy, et un twist de Johnny Hallyday. Simon a repris la rythmique du twist pour travailler la musique, ce qui donnait un véritable ancrage d’époque. Pour toute la musique additionnelle, j’avais pour référence le film Suzanne de Katell Quillévéré, j’aimais beaucoup la guitare électrique. Je trouvais qu’elle fonctionnait vraiment en contrepoint avec la narration. Cette femme isolée dans sa grossesse, ça m’avait touché. J’avais aussi mentionné un air de Georg Friedrich Haendel, un petit morceau de flûte, qui est tiré de l’oratorio Theodora. La note est très ténue. En clôturant ma note d’intention musicale, lors des rencontres 3e Personnage, je disais voir mon personnage comme un funambule. C’était très important pour moi. Un personnage qui marche sur une corde et qui est toujours en recherche d’équilibre, toujours prêt à vaciller. La flûte dans Theodora, c’était cette corde tendue. Simon et moi avons cherché par la suite des lignes plus percussives, des notes qui tiennent et qui vont vers la dissonance pour traduire cette image de funambule.

Marianne, le personnage principal est très silencieux. Dans une grande partie du film, peu de choses s’expriment à travers la voix. Est-ce que la musique parle pour elle ?

J.G. : Nous avons beaucoup discuté sur le fait que la musique devienne presque subjective. Nous avons travaillé cette idée musicale sur deux travellings avant. D’une part au milieu du film, quand Marianne se retrouve isolée devant la fenêtre, et d’autre part, après l’accouchement. Marianne est sur son lit et à ce moment, la musique révèle sa torsion intérieure, mais de manière très tenue. La musique dans ce film n’est pas vraiment mélodique, elle est une musique du cœur, de l’âme.

S.M. : Nous nous étions dit dès le début du travail qu’il fallait peu de musique. Même si le personnage parle peu, il y a beaucoup de choses qui se disent, autrement. C’est très palpable, et la musique ne doit pas rendre cela indigeste. Trop de musique aurait tué le film.

J.G. : C’est l’une des premières choses que m’avait dite Simon, lors de notre rencontre. D’entrée de jeu, il n’a pas eu peur de dire que ce film demandait peu de musique. Je savais que je voulais une composition originale mais sans charger le film. Il fallait les silences, la respiration des corps. J’ai beaucoup étudié les films de danse, et je recherchais quelque chose au niveau des sons, des souffles, des respirations, tout ce qui allait nous rapprocher de l’empathie du corps. Simon avait senti le film.

Qu’est-ce qui vous semble le plus réussi dans la composition musicale ?

S.M. : La force de travailler sur scénario, en tant que compositeur, c’est la possibilité de définir déjà beaucoup de choses en amont. Et lorsque les images arrivent, il faut épurer. Dans mes premières maquettes sur scénario, il y avait des éléments qui étaient trop narratifs. Il faut donc bien apprécier la place qu’il reste pour la musique. Pour ma part, c’est surtout le morceau de fin qui est une vraie réussite à l’image. J’en suis très content. Marianne lâche prise, s’abandonne, elle ne sait pas où elle va, mais elle y va à fond. Et la musique exprime ce vacillement, doublé d’un choix affirmé.

J.G. : C’est la musique qui prend le relais pour maintenir l’émotion en équilibre. Dans le dernier plan, Marianne s’échappe et alors que la musique prend place, l’image est brusquement coupée. Ecran noir. Nous voulions que la musique continue les pas de Marianne et qu’elle tienne l’émotion jusqu’à la fin du générique.

Si la musique est à fleur de peau, la photographie du film est aussi d’une réelle finesse. Des éléments peuvent faire écho aux peintures hollandaises du XVIIe siècle, évoquer Vermeer, dans le motif de la femme à la fenêtre, et dans la lumière, qui est presque opaline, laiteuse. Qu’est-ce qui vous a inspiré ?

J.G. : Pour ce qui est de la femme à la fenêtre, c’est Hopper qui m’a inspirée. Non pas pour les tonalités de couleurs, mais pour la composition. Le premier plan de Marianne, assise sur le lit, devant la fenêtre, avec ce rayon de lumière rasant sur le mur, ça vient de lui (Morning Sun, Edward Hopper, 1952). J’ai travaillé cela avec le chef opérateur, Bertrand Artaut. Nous avons aussi rajouté du grain parce que même si l’image reste très léchée, nous ne voulions pas du rendu numérique. Nous avons collecté beaucoup de références visuelles pour obtenir cette image blanche, désaturée. Puis, nous avons recherché dans les photographies d’époque, celles de Françoise Hardy, dans les films de Claire Denis… Avec tout cela, nous avons constitué une frise et l’avons étalée au sol. Elle a servi à toute l’équipe, que ce soit pour la déco ou les costumes… Nous travaillions beaucoup en transversalité. Chacun a pu trouver des tonalités de couleurs qui s’accordent pour avoir un rendu harmonieux à l’image. Nous avons beaucoup étudié les soleils aussi, leurs effets sur la peau.

Une prochaine collaboration à venir ?

J.G. : Je suis très heureuse d’avoir pu collaborer avec Simon sur ce film. Et j’espère qu’il y aura d’autres projets sur lesquels travailler ensemble.

 
Un grand silence de Julie Gourdain, France, 2015, 29’15. Grand prix de la fiction au Festival international du film d’Aubagne 2016.