Violette, de Martin Provost

 

Violette, de Martin ProvostDéfinitivement, Martin Provost semble avoir un penchant pour les destins de femmes injustement tombées dans l’oubli. On se souvient du lumineux Séraphine avec la charismatique Yolande Moreau. Un triomphe public et critique. A sa sortie en salles, l’opus biographique sur Violette Leduc (incarnée par la sublime Emmanuelle Devos), auteure de romans scandaleux, ne connaît pas le même sort. Certes, ce métrage est assez sage, classique dans sa forme. De la chronologie scrupuleusement respectée au découpage en chapitres, en passant par des intérieurs feutrés, tout en clair-obscur, ou le chatoiement naturel des scènes bucoliques. Tout est soigné, impeccable. Sous le regard aiguisé d’un réalisateur scrupuleux et de son directeur de la photographie Yves Cape, c’est toute une époque qui prend vie. Le Paris littéraire d’après-guerre renaît alors et avec lui, son cortège de personnages fantasques : Simone de Beauvoir (étonnante Sandrine Kiberlain), Maurice Sachs (Olivier Py), Jean Genet (génial Jacques Bonnaffé), Jacques Guérin (Olivier Gourmet, élégant). Alors, si ce n’est le subtil jeu des acteurs, Emmanuelle Devos et Sandrine Kiberlain en tête, rien d’éblouissant. Oui, mais on se laisse délicieusement emporter par le récit, bercé par la voix off de l’interprète principale qui donne à entendre le verbe cru et impertinent de cette femme née un siècle trop tôt.
Car Violette, c’est le portrait d’une écrivaine éraflée par la vie, au destin bouleversé par sa rencontre avec la grande Simone de Beauvoir. De 1942 à 1964, le long métrage s’attache à dépeindre cette existence chaotique et sulfureuse. On la cueille pendant la guerre où elle découvre sa rage pour l’écriture, poussée par Maurice Sachs (« Allez vous foutre le cul au frais sous un pommier » lui lance-t-il pour l’exhorter à écrire). On la quitte près de 2h20 plus tard à l’orée de son premier succès en librairie avec La Bâtarde. Entre les deux, une âme écorchée se débat. Une bâtarde, justement, reprochant violemment à sa mère de l’avoir mise au monde. Elle erre, de femmes en hommes – essentiellement homosexuels -, empêtrée dans des sentiments contradictoires et empêchée d’enfanter à son tour. Un avortement et bien des infortunes amoureuses plus tard, elle mettra des mots sur son désarroi. « Je ne peux pas être une mère même pour rire », hurle-t-elle lorsque son ami Jean Genet lui fait endosser ce rôle dans une pantomime filmée par ses soins. Une figure maternelle oppressante, donc, mais aussi à l’origine de l’acte d’écrire. « Ma mère ne m’a jamais prise par la main » ouvre L’Asphyxie, son premier roman.

Violette, de Martin ProvostViolette souffre également de son appartenance au deuxième sexe et ne s’y sent pas à son aise. Elle se trouve moche, à cause notamment d’un nez disgracieux. Or, pour elle, « la laideur chez une femme, c’est un péché mortel ». Pétrie de contradictions, elle s’enlise dans une existence mélancolique. Assoiffée d’amour, elle se débrouille toujours pour tomber amoureuse d’êtres qui ne peuvent l’aimer en retour. Elle nourrira d’ailleurs son Affamée de sa passion à sens unique pour Simone de Beauvoir. Ivre de solitude, elle s’y perd et s’y complaît à la fois. Elle avoue être « un désert qui monologue ». Qu’elle s’attable pour écrire dans sa chambre miteuse à Paris ou qu’elle arpente sans but la Provence, elle se trouvera pourtant dans ces instants d’isolement. Et c’est au détour de ces moments-là, que le biopic se révèle finalement le plus éloquent. En devenant l’aventure d’une écriture. Encouragée par l’éminente Simone, Violette va au bout d’elle-même. Malgré les galères (la pauvreté, le refus des éditeurs, l’indifférence du public…) et la violence de cette maïeutique, le métier d’écrivain apparaît comme salutaire. Source d’une grande force. On n’est jamais seul quand on écrit. L’écriture donne du sens à sa vie, au-delà de la reconnaissance, et fait oublier le désert affectif. Loin d’être un porte-étendard du féminisme (ce que le Castor souhaite), le combat de Violette est tout intime, égoïste. Et c’est malgré elle qu’elle servira la cause des femmes au moment de leur libération. Par son ton irrévérencieux et les sujets qu’elle aborde sans pudeur dans ses livres, qu’il s’agisse d’avortement ou d’expériences homosexuelles. Une des réussites du film : à la fin le spectateur n’aura qu’une envie, devenir lecteur de Violette. Et de la trouver, à l’instar de son interprète, tellement « attachiante » !

Violette, de Martin Provost, avec Emmanuelle Devos, Sandrine Kiberlain, Olivier Gourmet, Jacques Bonnaffé, Olivier Py, Catherine Hiegel… France, Belgique, 2013. Sortie en DVD le 6 mars 2014.