The Witch, de Robert Eggers

 

Récompensé à Sundance en 2015, projeté en compétition de ce 23e Festival de Gérardmer, The Witch fait sensation. Et pour cause : le jeune auteur-réalisateur américain Robert Eggers y déroule une maîtrise quasi parfaite de son matériau.

Anya Taylor-Joy dans The WitchEn 1630 en Nouvelle-Angleterre, William et sa famille (une femme et cinq enfants) sont bannis de leur communauté pour désaccord avec les règles religieuses en vigueur chez les Pilgrim fathers. La famille prend ses affaires, son cheval, ses quelques chèvres et son bouc, et se met en quête d’une nouvelle terre, qu’elle trouvera à deux jours de route : une clairière au milieu d’une forêt. Soufflée par la beauté et la sérénité du lieu, la famille prie avec ferveur avant d’y installer la maisonnée et le cheptel. Mais la forêt, autour, pourrait bien être hantée.

Robert Eggers montre d’abord dans The Witch une passion pour son sujet littéral – la sorcellerie, encore très en « vogue » au début du XVIIe siècle –, ensuite une déférence pour les Pères Pèlerins du septième art. On y trouve l’héritage des Dreyer, Bergman et autres Murnau, étalons éternels d’un cinéma aussi formel qu’érudit. Stylistiquement ou narrativement, chaque plan rappelle l’un de ces modèles, quand il ne convoque pas les artistes picturaux de la psyché et du surnaturel : on ne serait d’ailleurs pas étonné si Eggers nous avouait avoir été inspiré par La Tentation de saint Antoine de Jérôme Bosch, Le Cauchemar de Füssli ou une toile d’Albrecht Dürer, à commencer par le Jeune lièvre, animal aux symboliques païennes qu’on croise ici.

Mais comme le tout est bien souvent supérieur à la somme des parties, The Witch n’est pas un amalgame de références étincelantes et plombantes pour les non-initiés. Ce qu’il emprunte à ses aïeux, Robert Eggers l’assimile et le renouvelle. Et fait de son premier long-métrage une œuvre étrange et sublime à la lisière de L’Exorciste et de Ordet, servie par un casting de haut vol et une matière première intarissable. L’austérité formelle n’évite pas le malaise, palpable dans les plans aveugles de la forêt, dans les cadrages serrés du jeune Caleb (Harvey Scrimshaw, impressionnant) en pleine crise d’hystérie religieuse ou dans les sonorités telluriques du film, voix (en VO) de l’acteur Ralph Ineson comprise. Jamais le spectacle de cette famille puritaine – et pourtant aimable – n’est voyeur ; au contraire, le spectateur assiste malgré lui à l’horreur et au cauchemar, pas gore mais intensément dérangeant.

The Witch, a New-England folk taleSi Robert Eggers aurait pu se contenter de ces dispositions ténébreuses pour étourdir plus que de coutume le spectateur, il achève de le fasciner grâce à un scénario et une narration sans failles. Sorcellerie ou paranoïa, à chacun de projeter dans le métrage ses propres convictions et sa foi en l’ordalie inquisitrice. Plus subtil est le discours sous-jacent qui fait écho à l’histoire religieuse américaine, ferment de The Witch. L’histoire d’un triple rejet : d’abord celui de l’Eglise anglicane, carcan dont les immigrés du Nouveau Monde se sont libérés. Ensuite celui de la communauté chrétienne, trop progressiste du goût du patriarche, qui mène à l’exil loin de la civilisation. Enfin, le rejet de la fille aînée, Thomasin (l’éclatante Anya Taylor-Joy), pourtant seule personne vertueuse d’une famille meurtrie par les non-dits, l’orgueil et la luxure. Jouet innocent balloté par Dieu et par le Diable, Thomasin n’a d’autre choix que d’arracher sa liberté. Lectures multiples, œuvre protéiforme à l’immense profondeur, The Witch est un film de sorcières. Un film historique. Un drame social. Un conte folklorique épouvantable. Un film sur le deuil et sur la paranoïa. Tout ça à la fois ; The Witch est légion.

 
The Witch de Robert Eggers, avec Ralph Ineson, Kate Dickie, Anya Taylor-Joy… Etats-Unis, Canada, 2015. Sortie le 15 juin 2016.