Au-delà des montagnes, de Jia Zhang-ke

 

Ombres chinoises

Mountains may depart1999. Dans la ville de Fenyang, Tao est courtisée par ses deux amis d’enfance, Zhang et Lianzi. Elle choisit Zhang, jeune arriviste détestable, qui lui donne un fils nommé Dollar. Désespéré, Lianzi quitte la ville.
2014. Lianzi, mineur cancéreux, revient à Fenyang pour demander de l’aide à Tao, divorcée et seule, abandonnée par son mari et son enfant.
2025. Dollar fait ses études en Australie et voudrait renouer avec ses racines.

En trois tableaux et deux générations, Jia Zhang-ke poursuit son introspection des mutations chinoises. Après l’énervé A Touch of Sin en 2013, censuré en Chine où il reste encore aujourd’hui inédit, ce Au-delà des montagnes (« même les montagnes peuvent s’en aller ») est plus lyrique, plus sage… et davantage tourné vers le futur, quand 24 City et I Wish I Knew interrogeaient le passé pour comprendre le présent. Le film embrasse 26 ans d’évolutions et de révolutions économiques et sociales, qui éclatent dans la dualité et les paradoxes d’une patrie gouvernée par l’argent. Autour du personnage de Tao (formidable Zhao Tao, qui partage la vie et la plupart des films de Jia Zhang-ke) s’affrontent la jeunesse qui saisit l’essor économique de la fin du XXe siècle et celle, oubliée, qui perpétue les traditions séculaires, quitte à finir sa vie d’un cancer des poumons à 40 ans. Tao est elle-même déchirée entre la possibilité d’une existence sociale et celle d’une vie heureuse et simple : en d’autres mots, gagner de l’argent et manger au restaurant ou cultiver son jardin et préparer soi-même ses raviolis chinois.

Témoin du changement, Dollar, l’enfant nommé ainsi par un père qui ne jure que par l’argent et l’Occident, promesse d’une vie dorée. Dollar grandira dans le luxe, loin d’une mère au quotidien jugé archaïque, et appellera sa belle-mère « mummy ». Dans une dernière partie d’ « anticipation » – une sobre Australie de 2025, dont on retient l’érosion et Google Trad – Dollar a grandi, son père a vieilli. Les deux sont rongés par la mondialisation, le premier parce qu’il n’a pas d’identité (même pas un prénom valable), le second parce qu’il n’en a plus, presque incapable de communiquer avec son propre fils, anglophone. Dollar incarne cette perte de repères et l’éclatement de la famille correspondant. Dans ce Au-delà des montagnes, rien n’est pérenne : les gens et les désirs changent, la société délaisse les individus, l’amitié tient à peu de choses, les slogans scandés (l’hymne 90’s Go West des Pet Shop Boys qui ouvre et conclut le film) mènent à une impasse. Même les montagnes peuvent s’en aller. Seule constante, l’extraordinaire talent de Jia Zhang-ke pour raconter son pays.

 
Au-delà des montagnes (Shang He Gu Ren) de Jia Zhang-ke, avec Zhao Tao. Chine, France, 2014. Sortie le 23 décembre 2015.