Portrait de la jeune fille en feu, de Céline Sciamma

 

La beauté du geste

Portrait de la jeune fille en feu, de Céline SciammaFaire un film d’époque et sur la peinture est toujours casse-gueule. Un défi que Céline Sciamma remporte haut la main, tant son film n’est pas ampoulé, enfermé dans des carcans. Car s’en échapper, c’est tout le cinéma de la réalisatrice de Naissance des pieuvres, Tomboy et Bande de filles. C’est donc une nouvelle histoire d’émancipation qu’elle raconte. Celle d’Héloïse (Adèle Haenel), dont le portrait doit être fait pour sceller son mariage avec un homme qu’elle n’a jamais rencontré. Celle aussi de la peintre, Marianne (Noémie Merlant), encouragée par son modèle à pousser son art plus loin. Avec un sens du cadre impressionnant, une lumière envoûtante, Céline Sciamma s’approprie son thème de la peinture pour montrer l’artiste au travail. La recherche de la vérité intérieure de son sujet, la manière dont on intègre les conventions, puis s’en libère. Adèle Haenel, elle, s’offre sous un jour nouveau. Sa dureté frondeuse fait place à une douceur inattendue, dont la colère n’est pourtant pas absente. Composition complexe d’un personnage riche, à l’écoute de ses émotions, et en constante réflexion.

Portrait de la jeune fille en feu est un film sur le regard, avant tout. Celui de la peintre qui observe discrètement son modèle, devient celui de la cinéaste regardant ses actrices, avec désir et complicité. Celui que l’on reçoit et que l’on donne en retour. Observer et se sentir observé, dans une relation de séduction mutuelle. Un trouble incandescent, qui donne son titre au film, dans une séquence d’une beauté rare, où les coeurs s’enflamment autant que les robes. L’évolution, enfin, de ce regard au cours d’échanges intellectuels, de partages de vision sur la peinture, la littérature, la musique. Les deux jeunes femmes débattent ainsi, avec la servante de la maison, Sophie (Luana Bajrami), du choix d’Orphée de se retourner pour un dernier regard, encore, à Eurydice. Est-il seulement idiot et impatient ? Fait-il le choix du poète : celui de garder le souvenir d’Eurydice ? Ou est-ce elle, Eurydice, qui le lui demande ? L’objet du désir en est aussi l’acteur, dit la cinéaste à chaque plan. Céline Sciamma explore la naissance d’un amour, mais aussi le souvenir qu’il laisse, comme une trace éternelle. « Ne regrette pas, souviens-toi », dit l’une à l’autre. Un dernier plan, sublime, voit ces émotions passer sur le visage de la jeune fille devenue femme : la tristesse des regrets qui se mue en sourire du souvenir.
 
Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma, avec Adèle Haenel, Noémie Merlant, Luana Bajrami, Valeria Golino. France, 2019. Prix du scénario du 72e Festival de Cannes. Sortie le 18 septembre 2019.