Polisse, de Maïwenn

 

Maïwenn dans son film PolisseCe pourrait être une bonne petite série à la Urgences sauf qu’au lieu d’enchaîner amputations et NFS, chimi, iono, on aurait vu se succéder à l’écran témoins de viols, exploitation des enfants et autres gourmandises pour mineurs. Ce pourrait être un téléfilm longuet façon service public pour soirée thématique « Notre police ». Mais c’est bien plus que tout cela. Sa plongée ultraréaliste dans le quotidien de la BPM (Brigade de protection des mineurs) est tendue, précise et émouvante. Pour préparer son film, la réalisatrice Maïwenn a suivi un stage au sein d’un service similaire à celui qu’elle décortique. Sur le tournage encore, elle s’est entourée de deux policiers qui rectifiaient le tir si une scène n’était pas suffisamment crédible. Résultat, l’immersion est intense.

Entrecroisant scènes de vie au sein de la brigade, interrogatoires et quelques pas chassés du côté de la sphère privée, Maïwenn est perpétuellement sur le fil, à l’instar de ces flics confrontés quotidiennement à la misère sociale, aux crimes les plus abjects, aux révélations les plus hallucinantes. Le tableau qu’elle dresse est étonnamment complet sans jamais être redondant ou trop scolaire. Les crimes et délits : inceste, pédophilie, viol, maltraitance, mariage forcé, fugue d’abord. Les petites et grandes lâchetés de la hiérarchie, les rivalités entre services. La difficulté de ne pas s’impliquer. La difficulté de cloisonner ses existences. Le choc des générations dans le rapport aux corps et à la pudeur. La possible reconstruction des enfants blessés. Et la réalisatrice de dire entre les lignes la complexité des affaires, les drames personnels et familiaux…

Dans cette cour des miracles, on croise Marina Foïs, Karin Viard, Jérémie Elkaïm, JoeyStarr, impressionnant. Aucun personnage n’est sacrifié, aucune affaire expédiée. Le verbe est cru. « C’est dit comme ça, parce que c’est comme ça », balance Frédéric Pierrot (le commandant) à sa femme qui lui reproche d’être trop pris par son boulot. Au cœur du film, le langage comme confession, expression de la colère, des joies, des peines révèle un travail minutieux autour des dialogues et de la justesse de ton. Et puis, entre ces murs, on rit souvent pour supporter l’insupportable. Des rires nerveux, contenus, ou simplement joyeux. Cette bande-là fonctionne comme une famille avec son lot de coups de gueule, de déceptions, de frustrations, mais aussi toute sa complicité. Alors, dans le cadre de Maïwenn, il se passe toujours quelque chose en arrière-plan. Une mimique pour dire le besoin de se détendre. Un commentaire à l’envolée. Une réplique cinglante.

Sa caméra va chercher les acteurs. Et quand Maïwenn se met en scène derrière l’objectif d’une photographe chargée de réaliser un reportage sur la brigade, elle partage, en toute modestie, sa vision du métier de réalisatrice. Caméra au poing, elle secoue, jongle avec les registres, soigne les scènes de discussions animées (incroyable entrée en matière dans la cantine de la brigade où les policiers, attablés, échangent sur leur vie personnelle et leur place dans la société).

Au final Polisse a la finesse d’une enquête documentaire et la dynamique d’un puissant polar. Maïwenn va jusqu’au bout de son projet avec audace, vivacité et beaucoup d’humanité.
 

Polisse de et avec Maïwenn, avec aussi Karin Viard, JoeyStarr, Marina Foïs, Nicolas Duvauchelle… France, 2011. Prix du Jury au Festival de Cannes 2011. Sortie le 19 octobre 2011.