C’est quoi ce bordel ?
Je ne m’en suis toujours pas remis…
Entre le crépuscule du XIXe siècle et l’aube du XXe, une maison close s’évertue à garder ses portes ouvertes. Entre ses murs, une mère maquerelle (Noémie Lvovsky) et ses douze belles-de-nuit. Douze femmes aux colères étouffées mais bien conscientes de leur condition. Douze pensionnaires prisonnières avec chacune leur passé, leurs douleurs et leurs angoisses, leurs petites joies et leurs grands espoirs. Il y a Belles Cuisses, la Juive ou encore la Petite… Personnages mystérieux et romanesques dont les corps ont fait couler l’encre et la peinture. Personnages de fantasmes aux chairs convoitées par de riches bourgeois et autres aristocrates décadents en mal de virilité.
Dans la forme, pas grand-chose à redire. Bien au contraire, Bertrand Bonello a soigné son décorum. Au cœur du temple Apollonide, il y a la salle des sacrifices, véritable plaque tournante de l’établissement. Un salon somptueux, entre luxe et volupté, où l’on cause et danse. On boit du champagne, on fait chanter le cristal. Tentures finement brodées et canapés de velours pourpre. Les filles y descendent affrioler leurs visiteurs d’un soir avant de monter contenter leur ivresse sexuelle. “On fait commerce ?”, demandent-elles. Les visiteurs observent, inspectent, comparent puis font leur choix au gré de leurs fantasmes. L’un optera pour la geisha, l’autre pour la poupée. A l’aube, ces messieurs, rassasiés, s’en retourneront revêtus de leur respectabilité, tandis que les filles sortiront de scène retrouver leur triste réalité. Les masques tombent. C’est l’heure des comptes pour la maîtresse de maison et du “décrassage” pour les autres. Aux riches tentures se substituent les murs déliquescents et vétustes de leur lieu de vie.
Alors pourquoi ? Et comment, surtout, avec une telle matière à fiction Bertrand Bonello a-t-il pu passer à côté de son sujet ? Vraiment, je ne m’en suis toujours pas remis.
L’Apollonide, souvenirs de la maison close suit le rythme de cette ronde infernale et quotidienne ; s’efforce de dépasser la simple exploration de la débauche pour s’intéresser à la seule intimité des filles. En vain. Le casting est pourtant magnifique et l’interprétation irréprochable. Mais, pour revenir à cette idée de ronde, Bertrand Bonello n’a pas su contenir sa fougue. Dans sa volonté d’éviter le film choral et de créer un “corps collectif”, il enchaîne les séquences d’une fille à l’autre, les superposent parfois au moyen de split screens, le tout ponctué de retours en arrière ici et là. Ca tourne, ça balance et ça finit par tanguer sérieusement. A nous bringuebaler ainsi d’une situation à une autre, sans jamais établir de véritable cohérence entre elles, Bonello en arrive à simplement survoler ses héroïnes. Un sacré tour de force que de parvenir à maintenir autant de distance dans un huis clos ! Mais après plus de deux heures de film, Samira, Clotilde, Julie, Léa, Madeleine et Pauline restent des fantômes à travers lesquels on passe sans s’arrêter.
L’Apollonide, souvenirs de la maison close est une jolie peinture, où chaque détail a été soigneusement pensé. Manet, Renoir, Courbet. Ils sont tous là, c’est certain. Pour autant, c’est une peinture qui manque d’âme. Celle de Bertrand Bonello qui, malgré un indéniable travail de forme, s’est montré beaucoup plus timoré sur le fond. La faute à un scénario qui aurait gagné à s’attarder davantage sur les différents portraits que constituait chacune des filles. A développer leurs intimités particulières. En se lançant dans une telle thématique, aussi imposante et complexe, Bertrand Bonello ne pouvait pas se permettre de maintenir une telle distance. Son bordel est, au final, bien trop ordonné.
Je ne m’en suis toujours pas remis…
L’Apollonide, souvenirs de la maison close de Bertrand Bonello, avec Noémy Lvovsky, Jasmine Trinca, Céline Sallette, Hafsia Herzi… France, 2011. Sortie le 21 septembre 2011.
Comme disait Arletty, “fermer les maisons closes, c’est plus qu’un crime, c’est un pléonasme”.
Vu le film tout à l’heure et suis plutôt d’accord avec la critique de Mathieu “Spritz” Menossi. A ceci près que la bande-son du film ne colle pas du tout à l’ambiance : le procédé consistant à utiliser de la musique moderne sur un film d’époque, pertinent pour le Marie-Antoinette de Sofia Coppola, n’a ici aucun sens (cf. la séquence avec un ‘Nights in White Satin’ dont on attend la fin avec impatience). Pas donné à tout le monde d’injecter avec pertinence une dose de modernité dans un film en costumes. Dans la même idée, le split screen avec quatre scènes en une est tout à fait déplacé.
Alors c’est sûr, la photo est belle, et quelques scènes (les plus surréalistes) persisteront probablement quelque temps dans nos p’tits cerveaux, notamment celles impliquant la “Fille qui sourit” (cf. photo de l’article). Mais effectivement le scénario ne pisse pas très loin et le tout reste un peu vain, bien que très esthétique. Sans parler de la morale des séquences de fin, où l’on tente poussivement de rapprocher la prostitution de rue à notre époque et celle des maisons closes (c’était mieux avant ?). Un raccourci historique qui oublie un peu vite les bordels populaires, car ici il est beaucoup question de champagne, d’émeraudes et donc d’argent. Mais bon, que voulez-vous, le bourgeois est sans doute plus beau à filmer que l’ouvrier…
Oh, tu es méchant avec l’anachronisme musical. Rappelle-toi qu’un autre grand artiste avait fait la même chose : Graham Baker dans Beowulf, chef-d’oeuvre moyenâgeux avec el senor Christophe Lambert ! Un véritable avant-gardiste.