Loving, de Jeff Nichols

 

Loving vs Virginia

Loving, de Jeff NicholsLe 12 juin 1967, au cœur d’une Amérique encore profondément ségrégationniste, la Cour suprême des Etats-Unis rendait inconstitutionnelle la loi de l’Etat de Virginie interdisant les unions mixtes entre personnes de races différentes et faisait du mariage l’un des « droits civils fondamentaux de l’homme ». A l’origine de ce bouleversement judiciaire et historique, il y a l’arrestation neuf ans plus tôt, sur dénonciation anonyme, de Mildred Jeter, une femme noire, et Richard Perry Loving, un homme blanc. Partis se marier un jour de juin 1958 dans le district voisin de Columbia (où les unions mixtes étaient autorisées), ils sont arrêtés à leur retour en Virginie, accusés de violation de l’interdiction. Les époux Loving sont condamnés à un an de prison, à moins de quitter l’Etat (et leurs familles) pour les vingt-cinq années à venir… Débute alors une longue et lente bataille judiciaire qui feront des Loving l’un des fers de lance du mouvement des droits civiques.

Ouf ! On respire… Ce film « dossier » inspiré d’une histoire vraie, n’aura finalement pas eu raison de Jeff Nichols. Il y avait pourtant de quoi se sentir fébrile, en amont de la projection, tant l’aventure du biopic s’avère souvent une longue et douloureuse traversée du désert, pesante, linéaire, engourdie par les convenances. Il faut dire que, jusque-là, Nichols nous a gratifiés d’un parfait sans-faute avec son cinéma éblouissant de simplicité et de vérité. On le découvrait en 2011 avec le fascinant Take Shelter. Emballés, on remontait le temps pour découvrir son premier long-métrage, Shotgun Stories (2008), poignant bras de fer fratricide. Du pur génie ! De là, rien d’étonnant à voir son Mud recevoir les honneurs (mérités) de la Compétition officielle du Festival de Cannes en 2012. Quant à son Midnight Special (2015), exploration inattendue et singulière en terre SF, il apparaît comme son film le plus intime, Jeff Nichols s’appropriant le genre pour mieux lui insuffler toute sa retenue, sa sensibilité à fleur de peau et ses obsessions : un père et son fils contraints de faire face à un monde extérieur violent et un avenir inconnu. Devant une telle persistance à inventer, difficile alors d’imaginer Nichols contenir ses instincts pour rester dans le sillon tout tracé d’une histoire vraie.

Ce Loving s’annonçait donc comme une périlleuse gageure dont le cinéaste risquait de ne pas sortir indemne. Et pourtant Nichols a trouvé dans le destin du couple Mildred-Richard la parfaite caisse de résonance à ses marottes narratives : une famille fragilisée au milieu d’un environnement hostile, un mari et père soucieux de protéger les siens. « Je vais te construire une maison… Je peux prendre soin de toi ! », dit Richard à sa femme. Sans se soustraire aux figures imposées par l’ossature historique du récit, Jeff Nichols en contourne néanmoins tous les écueils, s’empressant de tourner les pages sur lesquelles d’autres se seraient longuement appesantis à grands coups de cris et de larmes. Pas de « qui a dénoncé ? », pas de bavures policières outrancières, pas d’égarements dans les méandres du droit constitutionnel ni de plaidoiries interminables, pas de diatribe anti-ségrégationniste ou de pamphlet Black Panther. Racisme et violence, avocats et médias : ils sont tous là mais laissés hors champ, tout au plus rapidement suggérés, simples hémistiches d’un poème aux saveurs d’Americana, tout entier consacré à l’amour de Mildred (magnifique Ruth Negga) et Richard (éblouissant Joel Edgerton, tout en pudeur).

Classique, Loving l’est profondément. Humblement. Cachés dans la lumière des paysages du sud américain, on aperçoit les silhouettes d’Eastwood et Malick se dessiner. Entre une Route de Madison et une Balade sauvage. Alors oui, bien sûr, Loving n’est pas aussi éclatant que ses prédécesseurs, il a su néanmoins en garder toute l’élégance.

 
Loving de Jeff Nichols, avec Joel Edgerton, Ruth Negga, Michael Shannon, Nick Kroll… Etats-Unis, Royaume-Uni, 2016. Sortie courant 2016. En compétition au 69e festival de Cannes.